Marc Duvillier
en collaboration
avec
Veronique D.Travers
 
Fevrier 2025.
(dans le rôle de Laura  Reynolds, femme d’un professeur d’université) au sommet de sa popularité.
Jean-Loup ne laissait passer aucune occasion de faire saisir à chacun sa propre créativité et à susciter des projets en jouant son nom sur des inconnus en qui il croyait. Seule la qualité d’un projet importait à ses yeux.
 
Jean-Loup s’entoura ainsi de très jeunes créateurs, d’une toute autre génération que la sienne (qui auraient pu être ses petits-enfants), que ce soit pour des livres d’artiste (je pense notamment à Quentin Parant) ou dans des spectacles théâtraux et musicaux : avec la musicienne Ana Orozco (harpe médiévale, épinette des Vosges et autres instruments anciens) notamment dans le récital du conte de JLP : Barbe-Bleue (au Théâtre du Nord-Ouest en 2017) et surtout avec son dernier collaborateur scénique le violoncelliste Victor Mignard (notamment sur Le Cirque de Lilliput en avril et mai 2016 à la Galerie Le Pavé d’Orsay à Paris, au Théâtre du Nord Ouest...).
 
Sans se prendre un instant au sérieux, son humour l’en aurait empêché, modeste, JLP transmettait une culture vivante avec drôlerie. Curieux des autres, il s’adressait à tous avec une profonde gentillesse et attention. JLP était brillant, érudit et élégant, son esprit fusait en images colorées et cocasses, en anecdotes amusantes et très évocatrices.
 
La rétrospective de l’intégralité de ses livres d’artiste à l’espace Topographie de l’art à Paris lors de l’exposition « Livres Uniks V » à l’automne 2023 (du 16 septembre au 11 novembre 2023) a été pour lui très importante. JLP en était très reconnaissant à son ami artiste Horst Haack, à Vera Röhm, Nicolas Leto et Clara Djian, ainsi qu’à Kristell Loquet et Françoise Py pour la publication du très beau livre associé. Cette exposition a notamment permis l’acquisition de livres d’artistes par d’importantes institutions.
JLP a toujours vécu de façon trépidante, à 200 à l’heure, jusqu’en 2024 où des ennuis de santé ont ralenti ses aspirations malgré lui.
Mais je garderai en mémoire, malgré sa dure condition physique, ses grands éclats de rire et son enthousiasme pour des projets en cours. L’avoir connu durant près de vingt ans a été pour moi un privilège et une chance.
 
Cette brève évocation d’un parcours exceptionnel témoigne finalement surtout de l’extrême curiosité qui était celle de Jean-Loup Philippe, qui comme s’il avait eu des antennes sentit toujours le « pouls » battant de la création là où elle devait se faire, en prenant tous les risques et en sacrifiant si nécessaire son statut de comédien vedette au théâtre...Il fut bien un des seuls, si ce n’est le seul, à croire à l’époque en un grand artiste dont il fut très proche et qui était totalement inconnu : Robert Filliou, mais aussi de Henri Chopin, de Brion Gysin et tant d’autres...Jean-Loup Philippe a défendu sa vie durant haut et fort la poésie et les créateurs plutôt que de s’illusionner dans de vaines gloires... Pour tout cela et davantage, il n’en sera jamais assez remercié.
Jean-Loup Philippe - Victor Laks, Nuit Lapone, L’ouvrage a été tiré aux Ateliers Del Arco en 2000. 10 encres de Victor Laks. Mise en page de Gilbert Bornat. 75 exemplaires sur Vélin d’Arches.
 
Jean-Loup Philippe - Bernard Quentin, Le Papierha, 5 gravures originales de Bernard Quentin, 20 exemplaires sur Vélin d’Arches, janvier 2002.
Jean-Loup Philippe - Claude Bellegarde, Translucides, 20 exemplaires sur Arches plus 4 HC, 4 impressions originales de Claude Bellegarde, rehaussées à la main par l’artiste ; Novembre 2003.
 
Jean-Loup Philippe - Isabel Echarri, Blanc, livre d’artiste à deux exemplaires.
 
Jean-Loup Philippe - Isabel Echarri, L’Escargocise. Existe uniquement en deux exemplaires.
JLP et Horst Haack, « Krakana » livre d’artiste (exposition :
« Livres Uniks IV », Topographie de l’Art, Paris, 10/09-6/11/2021) :
Jean-Loup Philippe et Horst Haack, Krakana (scarabées, fourmis, araignées), 28 pages, gouache, encre de Chine,  lettres tampon, édition jet d’encre sur papier Turner 290 grammes, 24x34cm, 34x25cm, 2021.
Jean-Loup Philippe et Antonio Seguí
L’Homme qui a perdu sa tête, éditions Guillotin, 2016. écrit par JLP
avec 5 estampes de Antonio Seguí. Imprimé à 55 exemplaires. Imprimé à l’Atelier Clot, Bramsen & Georges, septembre 2016, Paris.
Collaboration Jean-Loup Philippe et Laurence Imbert D.
 
Le presque pas d’un petit rien, éditions du Petit Pas, 1995, 10 exemplaires sur Vélin d’Arches numérotés de 1 à 10, comportant 8 illustrations originales de Laurence Imbert D. Ouvrage composé entièrement à la main. Couverture tirée à l’Atelier Dermon-Duval.
 
Entracte, sur un poème de Jean-Loup Philippe, livre imaginé et peint par Laurence Imbert D., tiré à 14 exemplaires originaux en juin 2003.
 
A petits pas, comprend 5 gouaches originales sur papier Japon de Laurence Imbert D., 12 exemplaires dont 4 exemplaires avec une page manuscrite de l’auteur et une gouache.
 
Tous deux, tout contre, sur un texte de Jean-Loup Philippe, écrit à la main par l’auteur et conçu par Laurence Imbert D. pour les éléments picturaux ; tiré à dix exemplaires, octobre 2013.
 
La Chute, sur un poème de Jean-Loup Philippe, livre imaginé et peint par Laurence Imbert D., tiré à 9 exemplaires originaux en novembre 2014.
 
La très belle collaboration de Jean-Loup Philippe avec le peintre Jean-Paul Riopelle.
 
Jean-Loup Philippe fut familier sa vie durant avec le fait d’accueillir généreusement et d’héberger des artistes à son domicile c’est ainsi qu’un souvenir d’un séjour chez Jean-Loup Philippe, le peintre canadien Jean-Paul Riopelle (1923-2002) accepta immédiatement une collaboration avec lui, alors qu’il était alors déjà très malade, sur ce qui se révéla son dernier livre d’artiste enrichi de somptueuses gravures : Larmes à petits flots (éditions Maurice Felt, 2002). Larmes à petits flots, texte composé par Michel Caine à l’Atelier de la Cerisaie, éditeur-imprimeur Atelier Felt (Maurice Felt), 6 gravures originales de Jean-Paul Riopelle, 45 exemplaires dont 5 HC, 2002.
Henri Chopin - Jean-Loup Philippe, La chambre close, réflexion sur la création poétique, Bernard-Gabriel Lafabrie.
 
Monsieur le Monde, texte composé par Michel Caine à l’Atelier de la Cerisaie, éditeur-imprimeur Atelier Felt (Maurice Felt), 5 gravures originales de Alberto Guzman, 40 exemplaires dont 2 HC, 1999.
 
Les voleurs d’étreintes, 5 gravures originales d’Anick Butré, limité à 25 exemplaires sur Vélin d’Arches signés et numérotés par l’auteur et l’artiste, 5 exemplaires HC dont un destiné à la BnF ; éditions Noir d’Ivoire.
 
Le murmure des pierres, sur un poème de Jean-Loup Philippe écrit à la main par l’auteur, avec Wanda Mihuleac, existe en deux exemplaires.
Jean-Loup Philippe, Voyage en incertain (livre-objet), éditions de la Grand’Rue, 1976. Préface de Jean Tardieu. Empreinte de Rodolfo Krasno. 60 exemplaires sur Vélin d’Arches numérotés et signés.
 
Parmi les autres livres d’artistes (près de soixante livres réalisés depuis 1976) mentionnons : Combat sur la lune, 4 lithographies originales signées et numérotées à la main par Corneille, tirage à 150 exemplaires ; Georges Fall éditeur, 1987.
 
Jean-Loup Philippe - Jean Miotte, Couleur, sérigraphies en couleurs de Jean Miotte, tirés à 75 exemplaires, éditions Del Arco, Paris.
 
JLP - Gianni Bertini, O, éditions de Castel d’Eau, 1992. 100 exemplaires sur Vélin d’Arches accompagnés de 5 illustrations originales de Bertini. L’ouvrage entièrement composé à la main a été tiré en sérigraphie aux Ateliers Del Arco, Paris.
 
JLP/Constantin Xenakis, Mandibules, éditions Loup, 1993. 7 exemplaires sur Vélin d’Arches signés et numérotés, plus 5 exemplaires HC comportant 7 sérigraphies en couleurs de Xenakis.
Dans ce texte dramatique singulier, chaque personnage est réduit à un fragment du corps humain indépendant : « les yeux », « une oreille » ; et une voix les interroge.
Cette pièce fut jouée sur France Culture et il y eut un projet de représentations à l’Espace Pierre Cardin à Paris, mais invité à découvrir la pièce à France Culture, Pierre Cardin s’est endormi à son écoute et il ne s’y est finalement pas intéressé. Intense déconvenue de Jean-Loup Philippe.
Livres d’artistes (sélection).
Plus de soixante magnifiques livres d’artistes réalisés par Jean-Loup Philippe de 1976 à 2024 donnent une idée des plasticiens qui s’enthousiasmèrent à ses côtés pour des réalisations ambitieuses (la liste des noms prestigieux placés à côté et à égalité de créateurs talentueux confidentiels est édifiante).
La rétrospective de l’intégralité de ses livres d’artiste à l’Espace Topographie de l’Art à Paris lors de l’exposition « Livres Uniks V » à l’automne 2023 a révélé la richesse des réalisations.
Le premier livre d’artiste de Jean-Loup Philippe à paraître en 1976 : Voyage en incertain (1976) conçu avec l’artiste peintre, sculpteur et graveur Rodolfo Krasno (1926-1982), et préfacé par Jean Tardieu, était une pièce de théâtre composée de dialogues: il s’agissait d’une écriture de sensations uniquement.
Les Ils (1980, éditions Jean-Michel Place) est un texte de combat, très violent contre la société et une lutte contre le langage. À la fin du spectacle, ce sont les mots du langage cartésien qui triomphent sur le personnage, de la routine du langage. « Les mots ont absorbé les gens, les ont conditionné. C’est un spectacle contre l’apprentissage conditionné ; J’y apparaissais dans le rôle d’un poète muni d’une paire de ciseaux pour couper les mots. Une chaise géante sur scène constituait le principal accessoire avec les ciseaux.
Et puis, il y avait le poète sonore Bernard Heidsieck, un proche ami, qui avait réalisé des sons, un bruitage constitué de syllabes qui partaient dans l’espace et le poète (moi) essayait de les couper avec une paire de ciseaux et à la fin ce personnage Don Quichottesque était vaincu... ».
Jean-Loup Philippe me confia : « As-tu rencontré des difficultés à monter ce spectacle Nus et Bleu au Théâtre du Lucernaire à Paris en 1972 ? » « Jean-Loup Philippe : Nus et Bleu (1972) au Théâtre du Lucernaire à Paris. Dans ce spectacle, les silences étaient aussi importants que le texte. Et puis, j’avais voulu traiter le nu comme un peintre peut le faire. Il y avait le nu, dans le texte, le décor et les corps : un dépouillement. Le bleu envahissait petit à petit toute la scène comme la mort. D’abord on a été Laurence et moi, les premiers comédiens à jouer nus durant tout un spectacle. Et puis Laurence était très pudique donc c’était très difficile.
Et puis, il fallait que chaque geste soit un peu comme la traduction de ceux de bêtes sauvages au ralenti ou comme un arc qui se détend. Mais impossible de se balader comme des Nudistes (j’ai pratiqué le nudisme par ailleurs). Chaque déplacement était théâtralisé.
Les répétitions ont été infernales. Le fait d’être nus sur scène était incompris par les techniciens, le théâtre. Trois assistants à la mise en scène sont partis en disant à propos de ma recherche de mise en scène : « On ne comprend rien à ce qu’il fait. »
Ce qui a provoqué le fait que Laurence commence à douter elle-même. Lors de la première du spectacle, Laurence est sortie en pleurs.
Et pourtant, le fondateur-directeur du Théâtre du Lucernaire, Christian Le Guillochet (1933-2011) déclara : « Cela a été un des plus grands triomphes du Lucernaire ».
« Jouer nu sur scène, c’est une expérience très difficile. Surtout une pièce dont le texte était presque abstrait. Il est arrivé qu’un spectateur ou deux lors d’une représentation, que parfois donc des gens viennent pour autre chose et pas du tout pour assister et voir un spectacle artistique, mais se comporter en voyeurs. J’avais dit à Laurence, s’il y a du bruit, on s’arrête et on reprend quand ils seront calmés. Et puis un spectateur au premier rang a dit aux perturbateurs : « Oh taisez-vous » ; et en s’adressant directement à moi près de la scène : « Oh écoute, je ne comprends rien mais c’est très beau, continue mon petit, c’est très beau. »
Deux comédiens, deux personnages : un homme (Jean-Loup Philippe) et une femme (Laurence Imbert) y apparaissaient nus sur scène durant toute la totalité de la pièce. Cet homme et cette femme et un poisson étaient seuls isolés sur une île et y sentaient la mort venir, y étouffaient. Si jouer nu sur scène ne constituait plus en 1972 quelque chose de rare, de nouveau ou de très audacieux, après notamment les expériences des anarchistes américains du Living Theatre de Julian Beck et Judith Malina et d’autres performers contestataires depuis les années 1960 avec les Happenings importés en France par Jean-Jacques Lebel (avec qui Jean-Loup Philippe collabora pour le Festival de la Libre Expression), par contre, jouer nu dans un spectacle de visions où les personnages déchiffrent le monde et découvrent la vie créa la surprise : la gestuelle des deux comédiens oscillait sans cesse entre le jeu dramatique du théâtre, le mime et la danse. Ils créaient le sens du spectacle et un espace imaginaire autour de leurs corps.
 
Cette gageure ne fut pas de tout repos. Car même au sein de l’équipe technique et du Théâtre du Lucernaire à Paris où fut créé le spectacle, l’incompréhension régnait devant l’étrangeté d’un spectacle où les personnages effectuaient des gestes au ralenti, semblaient à demi-fous et prononcer des paroles décousues, et livraient un véritable « théâtre de visions » plus proche finalement d’expériences telle celle du Regard du sourd (créé en France au Festival de Nancy en 1971) de l’américain Bob Wilson...
« Ce que j’aime particulièrement chez Jean c’est qu’il a si vous voulez le sens de l’image total. Et quand il repère un endroit déjà le cadre y est. Et la signification même de l’écriture, du scénario est là. Souvent les films de Jean se terminent au bord de la mer sur les plages (plage onirique de Pourville). »
(Extrait d’un entretien de Jean-Loup Philippe, entretien filmé en 2005 chez Jean Rollin, rue Haxo, visible sur YouTube.)
 
JLP : « J’ai écrit un toman policier pour Jean Rollin, éditeur, directeur de collection, grâce à lui. Je me suis toujours intéressé au style, comme Jean Rollin à l’écrit et à l’image. »
Entouré de fidèles et précieux collaborateurs dont Véronique D.Travers photographe de plateau sur les films de Jean Rollin à partir de Killing Car (1992-1993) et responsable entre autres activités de la Société les Films ABC, et collaboratrice indispensable du cinéaste durant de très longues années (1990-2010) de collaboration mouvementée (liée notamment à la santé fragile du cinéaste) et défendant toujours inlassablement son œuvre depuis son décès notamment en créant un site internet consacré au cinéaste  Jean Rollin, cinéaste écrivain et en luttant contre le piratage des films.
 
Nus et Bleu (Théâtre du Lucernaire, Paris, 1972).
Dans ce spectacle, Jean-Loup Philippe tenta une expérience scénique alors inédite : opter pour un dépouillement absolu, du décor (réduit à des formes minimalistes et abstraites), comme des comédiens dans le plus simple appareil étaient plongés dans le silence, dans une sorte de rituel symbolique sur la mort, la solitude, l’angoisse où progressivement toute la scène et les corps étaient contaminés par la couleur bleu (la mort) où se perdaient les gestes et les paroles. JLP chercha une symbiose entre théâtre, poésie et peinture et à créer un espace imaginaire du rêve à peupler par des corps formes esthétiques et plastiques. Pour habiter cet espace de rêve, il fallait des comédiens exceptionnels et courageux ;
La prise de risque fut réelle ainsi que l’on va le voir :
Je faisais se promener Ovidie dans le cimetière où était enterré son cousin le cinéaste « Michel Jean » et elle rencontrait des fantômes, des personnes qui avaient connues le cinéaste.
Elle rencontrait Maurice Lemaître, premier rôle dans La Vampire Nue ; Jean-Loup Philippe présents dans six de mes films dont Lèvres de sang ; Cela a fait toute une scène et puis on s’est arrêté.
Trois semaines ont passé. J’apprends qu’il y a eu un incendie dans la forêt de Sénart près de Paris. J’ai toujours eu envie de tourner dans une forêt incendiée, brûlée. Effectivement, il y avait une portion de la forêt noircie. On a tourné une journée avec Ovidie et Sabine Lenoël, qui jouait déjà dans La Fiancée de Dracula., une excellente comédienne. J’avais grand plaisir à la faire tourner à nouveau.
On s’est retrouvé avec quarante minutes de film et on s’est dit que ce serait bête de ne pas finir. On a raclé les fonds de tiroirs. J’ai obtenu une petite subvention de la ville de Limoges. On devait y tourner la partie principale du film dans une maison à Limoges. Et on est parvenu à réunir un petit budget en serrant tous les frais pour tourner avec l’équipe à Limoges. On a préparé le tournage. Donc, vous comprenez que ce film a été tourné par morceaux, segments en trois ou quatre fois. Et ce fut problématique : Ovidie était enceinte puis elle a accouché. Elle était encore un peu grasse puis lors de la scène de la photographie de Sénart, elle avait retrouvé sa taille de jeune fille. J’avais peur que cela se voit à l’image et que ce soit affreux. Puis Ovidie a travaillé pour un photographe et est arrivée soudainement blonde sur le tournage. Ovidie en blonde !! Elle a typiquement les cheveux noirs. Il a fallu trouver une perruque noire, simple qui lui va à merveilles d’ailleurs. Voilà ce qui arrive lorsque l’on interrompt un tournage et qu’on le reprend après un certain laps de temps. Ceci dit on a terminé le film. Comme d’habitude, le dernier jour apporte une difficulté : un déluge affreux à Limoges, une épreuve de force, on avait libéré les hôtels ; on repartait le lendemain et puis tout d’un coup avec la pluie, cela ne raccordait plus pour la lumière et puis la nuit tombait. On a filmé grâce à l’opérateur Norbert Marfaing- Sintès le dernier plan : Ovidie descendait un escalier le long d’un muret et s’éloignait au loin. Le plan semble avoir été filmé de jour alors qu’il faisait déjà nuit noir et puis le lendemain, Ovidie partait sur un autre tournage.
 
Et puis, on a monté ensuite le film dans la joie. Ce film est une sorte de miracle, avec toutes les façons de filmer invraisemblables et trois semaines d’arrêt, des comédiens qui n’étaient plus libres. Je réécrivais des scènes le soir, en fonction de la disponibilité des acteurs. On ne voyait pas qu’Ovidie avait perdu dix kilos entre les scènes tournées au Musée « La Specola » et celles tournées à Limoges. On ne voyait pas que ses cheveux avaient été en cours de route remplacés par une perruque ; c’était parfait.
Ma grande peur c’étaient les inserts qui apparaissaient dans le montage du film tous les cinq à six minutes ;
Un flash-back d’un insert en rapport avec la scène que l’on vient de voir par exemple entre le Musée « La Specola » et un extrait du film : Perdues dans New York ».
 
Le Musée « La Specola » à Florence : personne, à ma connaissance n’avait jamais tourné dans ce lieu, ce musée, Ridley Scott avait prévu d’y tourner Hannibal, cela ne s’est pas fait finalement. Nous étions à Florence une équipe réduite de seulement sept à huit personnes.
 
La « Maison » à Limoges, on a cherché très longtemps un décor. Le film a mis trois ans à se faire. On a trouvé trois jours avant le tournage ce château délabré en partie habité qui abrite un jardin zoologique. De temps en temps, pendant le tournage, on entendait des fauves. »
« Ovidie : je n’avais pas vu ses films pornographiques et puis elle évoluait semble-t-il vers une pornographie intellectuelle, militante. La première fois que j’ai vue nue sur le tournage : elle état tatouée de la tête aux pieds, ce n’était plus le personnage, mais un personnage différent. Certains collaborateurs étaient horrifiés sur le tournage. Ovidie sur le plan de la comédie s’est très bien débrouillée. » (des propos contredits par d’autres témoignages affirmant qu’Ovidie était incapable de dire son texte.)
 
« Dans le film, il y a de multiples références notamment à la chanteuse Marianne Oswald que j’ai connue et que j’aimais beaucoup ; une citation célèbre extraite du Mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux : « Le presbytère n’a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat. » Et puis lors du tournage au cimetière du Père Lachaise, nous avons repéré la tombe de l’écrivain Raymond Roussel ; Rendre hommage en passant à Raymond Roussel, j’ai trouvé que c’était dans le ton du film. Pour paraphraser, je dirai que je filme pour « retrouver la femme nue attachée sur le cheval » présente et donc visible dans le film Yellow Sky (La ville abandonnée) (1948) de William Wellman avec Gregory Peck ; dans lequel des cow-boys dans un bar fixent sur le mur un tableau représentant une femme nue sur un cheval en se demandant où le cheval galope...La Série B m’a beaucoup marquée, des films comme Forty Guns (Quarante tueurs) (1957) de Samuel Fuller dans lequel figure un des plus beaux travellings de l’histoire du cinéma. » (extraits d’un entretien filmé de Jean Rollin sur son film : La Nuit des horloges).
« La Nuit des horloges c’est un peu mon portrait, il y a énormément de choses qui sont autobiographiques, mais pas tout. J’ai du affronter pour la première fois le trac sur un tournage ; je ne l’avais jamais eu. Je n’avais pas tourné depuis six ou sept ans. La Fiancée de Dracula était considéré comme mon meilleur et probablement comme mon dernier film.
 
Il fallait assurer un tournage en Italie sans parler italien du tout.
Il a fallu un effort terrible. Je ne savais pas si j’étais capable de tourner. Mon directeur de production Lionel Waldman fut très efficace.
 
On était répartis dans deux hôtels en face du Musée « La Specola - l'Observatoire » à Florence, et donc on ne connaît de Florence où nous avons tourné une semaine que le musée et les deux hôtels.
Je n’avais pas de découpage préalable. Or, il y a de multiples choses à filmer naturellement dans le musée. Et c’est revenu tout seul, j’ai dit : « On va placer la caméra là. » Je me suis retrouvé dans l’ambiance d’un tournage. On a pu faire le maximum de film (d’images) en cinq jours.
On est revenu à Paris, j’étais persuadé qu’il n’y aurait que cette séquence qui existerait, et que ce serait un film inachevé.
 
On s’est trouvé avec cette scène d’une bonne vingtaine de minutes, sonorisée par le compositeur Philippe d’Aram. Je l’ai montrée à deux ou trois personnes et notamment à l’éditeur de mes mémoires (dans l’idée de joindre le film sous forme de DVD mais cela ne s’est pas fait),
On a cherché de l’argent, à réunir des économies et on a continué et on a tourné un petit morceau du film au cimetière du Père Lachaise à Paris. Le principe du film était de comporter des espèces d’inserts (d’extraits emblématiques) de tous mes vieux films ; Et j’avais eu l’idée de faire revenir des gens qui avaient tournés avec moi dans le passé pour créer des apparitions de cette façon.
Museo La Specola Palais Torrigiani
Via Romana - Florence Italie
On a décidé d’utiliser le musée de « La Specola aka L'Observatoire » à Florence en Italie, un musée des figures de cire ; de cires anatomiques du XVème siècle qui est tout à fait magnifique.
« Cela a été un tournage parfait ; c’est le clou du film, si l’on veut. Et puis on a arrêté pendant trois semaines et puis un peu d’argent est rentré alors on a filmé au Père Lachaise etc... Le film s’en ressent peut-être, mais je trouve qu’il a tout de même une certaine poésie. Il était question que ce soit le dernier film mais comme j’ai survécu. J’en ferai volontiers un autre mais je ne sais pas si j’y arriverai. C’est une sorte de testament. Il a eu pour titre de travail « Le dernier film . Ce qu’il faut dire c’est que j’ai fait revenir des acteurs qui ont joué dan tant de mes films. Et certains apparaissent avec trente ans ou même quarante ans de plus. Donc on ne les reconnaît pas forcément. Dominique apparaissait dans Le frisson des vampires ; Maurice Lemaître qui est un peintre et écrivain et qui a une petite scène dans le cimetière, a joué dans mon deuxième film : La Vampire nue. C’est à dire, il y a quarante ans alors, lui, il n’a pas trop changé. Jean-Loup Philippe qui sort de l’horloge et parle à un film qui a disparu (L’Itinéraire marin). »
« C’est l’histoire d’un cinéaste qui est mort et qui va rencontrer la plupart de ses fantasmes, le film est construit avec des extraits de la plupart de mes films insérés comme des fantasmes en forme de citations et de clins d’yeux. C’est une sorte de miracle. Car, dans l’écriture du scénario, là, il y a un fantasme qui apparaît, là un extrait. Et on ne savait pas du tout comment cela apparaîtrait et au montage, grâce à mon opérateur Norbert Marfaing-Sintès, et on a trouvé une solution, cela c’est fait tout seul, grande surprise pour nous tous de voir à quel point cela fonctionnait bien. C’est un film que j’ai produit seul. On l’a tourné en sept ou huit fois, trois semaines à Rennes par exemple ; à chaque fois qu’un peu d’argent rentrait, on ne tournait pas très régulièrement donc.On a tourné dans tout un tas de lieux très étonnants à Paris (par exemple l’Aquarium du Trocadéro) ; on a tourné tout à fait en haut de la Faculté de médecine à Paris, c’était un musée qui était tout à fait désert, c’était un musée où il y avait des écorchés. Personne ne venait, ne le visitait donc ils l’ont cassé.
J’ai eu juste trois quatre jours pour filmer avant qu’il ne soit cassé, détruit. À chaque fois que l’on voulait tourner dans un lieu, il y avait une sorte de malédiction ; le lieu était menacé, détruit, fermé...
La nuit des hologes 2006
(Jean Rollin montre à la caméra le magnifique dessin original à l’aquarelle par Philippe Caza de l’affiche (encadré sous verre et précieusement conservé dans son appartement par JR) : une femme nue assise comme une statue surplombée par un vol de chauves-souris » ( ?) Celle-là a été interdite pour une raison que j’ignore car on n’a pas le droit d’interroger la censure. Elle est interdite et c’est l’autre qui est passée. » Témoignage de Jean Rollin filmé chez lui rue Haxo en 2002, entretien filmé réalisé par Gaël Golhen et Nicolas Rioult
(extrait situé de 11 min à 12 mins26).
À la fin, Frédéric s’enfuit avec la jeune femme en entrant dans le cercueil qui est emporté par les flots vers l’île du sable. Jean-Loup Philippe racontait que les conditions de tournage furent éprouvantes et que nue sur la plage, la comédienne qui partageait cette scène avec lui avait la chair de poule
Le jeu de Jean-Loup Philippe est d’une forte intensité, proche de la folie, et le comédien témoigne d’une grande présence à l’écran. L’excellent cinéaste Robert Bozzi (Les gens des baraques) est premier assistant réalisateur de Jean Rollin sur ce film.
 
« C’est Philippe Druillet qui a fait mes premières affiches. Mais pour Lèvres de sang, il était absent et en Amérique donc il ne pouvait pas la faire. Donc, j’ai fait appel à Philippe Caza qui a fait deux projets. Un projet justement dans le but, que cela tombe sous le coup de la censure ; où on voyait une fille avec des énormes seins nus comme cela (JR fait le geste de décrire une poitrine gigantesque) c’est l’affiche qui est- là (pointe du doigt JR chez lui rue Haxo vers l’affiche encadrée au mur.) et qui avait été faite uniquement pour provoquer la censure pour qu’elle interdise celle-là et qu’elle laisse passer l’autre, celle qu’on voulait.
Et bien, celle-là est passée (avec les seins nus) et l’autre a été refusée.
J’ai toujours pensé qu’ils s’étaient trompés...
(présentation du film La Nuit des horloges par Jean Rollin à
L’Etrange festival à Lyon en 2008).
Lèvres de sang (1975) sur ce film : Jean-Loup Philippe  est co-scénariste, c’est lui qui propose le scénario et le sujet à Jean Rollin. Le film a été produit grâce à une partie d’échecs remportée par Jean-Loup Philippe sur Michel Polac et la présence d’un producteur de cinéma amateur d’échecs à qui il remet le scénario. Le film est le récit d’un rapport d’haine-amour entre une mère et son fils Frédéric (interprété par Jean-Loup Philippe ) et s’articule autour d’une photographie d’un château en ruines de son enfance, « image du rêve de son enfance qui surgit dans sa tête de façon obsessionnelle ».
 
Le film est ensuite découpé en épisodes de feuilleton policier à la Gaston Leroux, avec de nombreuses péripéties : Frédéric est enlevé dans une ambulance, il y a une séance d’électrochocs avec les deux jumelles vampires (Marie-Pierre (1949-2013) et Catherine Castel (1949-2018)). Pour JLP le « fantastique est partout dans la vie quotidienne », si l’on sait l’y déceler.
Un film très onirique avec les fort belles séquences presque nocturnes, crépusculaires, sur la plage de Pourville, plage emblématique des films de Jean Rollin sur laquelle il revenait filmer obsessionnellement et quasi systématiquement depuis son premier court métrage Les Amours jaunes d’après Tristan Corbière.
 
Question d’un spectateur : Pourquoi certains de vos films se terminent sur une plage ?
Jean Rollin : « Oh et bien cela, c’est ce que l’on appelle un gimmick, et bien c’est- à-dire que quand j’étais adolescent, je suis parti un jour en vacances avec ma mère quelques jours sur les plages les plus proches de Paris, c’était la plage de Pourville. Et, j’avais découvert cette falaise qui maintenant à beaucoup changée mais qui à l’époque, était toute blanche comme une falaise de craie. Et, avec les mystérieux poteaux qui se dressaient, avec des verticales, des horizontales enfin, et ces galets blancs qui recouvraient toute la plage. Alors, je me suis dit là, si un jour j’ai la chance de tourner un film, je ne croyais pas la chose totalement possible à l’époque, je voudrais que ce soit là que cela se passe. Et bon, c’était une sorte d’engagement que je prenais vis-à-vis de moi et le premier des courts- métrages que j’ai fait qui durait dix minutes je l’ai tourné là. (Les Amours Jaunes (1958) d’après Tristan Corbière). Et ensuite, à chaque fois que j’ai fait un film, à chaque fois que c’était possible, je suis revenu sur cette plage. Alors maintenant, je la connais tellement, que pour la place de la caméra, les angles etc... ; et c’est toujours pour moi très important de m’y retrouver. Il y a une mise en scène qui se fait toute seule, qui s’impose à moi, c’est très particulier comme sensation.
 
Question d’un spectateur : « Est-ce que c’est un choix purement esthétique ou est-ce qu’il y a du sens ? De revenir ainsi sur une plage est- ce que c’est poétique ? »
 
Jean Rollin : « Je ne pourrai pas vous dire. C’est un sentiment, c’est un souvenir qui s’est imposé et qui est devenu comme une marque de fabrique, si vous voulez. Et tous mes films ne s’y déroulent pas d’ailleurs, mais, bon, à chaque fois, que j’ai pu le faire, je l’ai fait et chaque fois je suis parvenu à faire des images qui me plaisaient. Particulièrement dans Les deux orphelines vampires ou une bonne partie du film se déroulait sur la plage. »
Co-produit par Les Films ABC (société de production de Jean Rollin) et Sam Selsky et était interprété par : Solange Pradel, Bernard Letrou, Catherine Deville, Ursula Pauly, Nicole Romain, Marquis Polho, Louise Horo, Doc Moyle, Don Burhams, Yolande Leclerc, Mei-Chen. Et Jacqueline Sieger dans le rôle de la Reine des Vampires.
Et Philippe Druillet (qui réalisa la somptueuse affiche du film que Jean conservait affiché au mur dans son appartement rue Haxo).
Montage de Jean-Denis Bonan et Mireille Abramovici.
Le film narre l’histoire de quatre sœurs enfermées dans un château car considérées comme des folles-vampires par un châtelain. À 19min, il y a une très belle scène nocturne d’escrime entre les sœurs. À 20 minutes figure une probable allusion, citation au film Les Yeux sans visage de Georges Franju, lorsqu’une des sœurs se dirige de nuit vers le portail du château pour tenter de s’échapper de la propriété. À 21minutes 33 secondes, il y a ce drap soulevé sur le visage féminin caché qui évoque un tableau du peintre surréaliste Belge René Magritte.
À 52 minutes, il y a un fort beau passage lors du transport d’un cercueil d’abord dans un corbillard tiré par des chevaux puis dans une ambulance au rythme d’une musique de jazz.
Dans la seconde partie du film, Jean-Loup Philippe apparaît dans le personnage d’un chirurgien dans une clinique avec la Reine des vampires interprétée par Jacqueline Sieger.
Jean-Loup Philippe  sort du cercueil avec la jeune vampire mariée à 1H27min : « Majesté, vous êtes trahie ».
« Je croyais naïvement que Le Viol du vampire, mon premier film, allait être accueilli par les jeunes, comme quelque chose d’un esprit nouveau, si vous voulez, or, pas du tout, tout le monde m’est tombé dessus, les gens hurlaient dans la salle, cela a fait un scandale épouvantable, j’ai été obligé de me cacher, parce que les spectateurs qui sortaient du Styx, notamment, au Quartier Latin, me cherchaient pour me casser la gueule, c’était incroyable.
Au Scarlet, cinéma qui n’existe plus, on a été obligé d’appeler la police pour évacuer la salle, tellement les gens tempêtaient, cassaient les fauteuils. Et cela a été pareil en province. Le scandale du Viol du vampire m’a poursuivi pendant des années ; la critique s’est contentée une fois pour toute de dire que l’on ne comprenait rien à mes films, que les acteurs ne savaient pas jouer et que c’était écrit en dépit du bon sens.
C’est ce qu’on a dit pour Le Viol du vampire ce qui était en partie vraie, c’était un premier film. Un film d’amateurs en fait.
Et j’ai traîné cela toute ma vie, jusqu’à ce que les choses commencent à évoluer il y a quelques années.
Maintenant il y a une certaine espèce de reconnaissance de ce cinéma pas seulement moi, qui remettent les choses à leur fois. »
(Dans les yeux de Jean Rollin - Entretien avec le réalisateur atypique du cinéma français »...
https://www.youtube.com/watch?v=WaRcoT0hdL0
Interview présente sur le DVD "La Morte Vivante" de la collection Jean Rollin. Réalisé par Virgile Ollivier © L.C.J Editions & Productions
« Le Viol du vampire :
Le producteur du film me disait : « Tu n’oublies pas les femmes nues ». Je lui disais : « Non, non », et on faisait déshabiller une fille et puis on faisait un plan comme cela. À l’arrivée c’était un film complètement fou, dadaïste. Personne n’y comprenait rien. C’était un film surréaliste sans trame linéaire.
Le producteur Sam Selsky pensait que les distributeurs les frères Boublil du « Midi-Minuit » refuseraient de le sortir puisque l’on n’y comprenait rien, alors on a échafaudé un stratagème. Alors, Sam Selsky a monté une combine : lors d’une projection test en présence des frères Boublil, un complice de Selsky demandait à parler à Roger Boublil au téléphone toutes les cinq minutes ce qui fait qu’il n’a vu le film que par petits morceaux. Alors, quand il demandait pourquoi il ne comprenait pas tout, on lui répondait que c’était parce l’explication était d  donnée lorsqu’il était sorti... «Alors, il a dit: «Bon, ça va, il y a des vampires et un peu de filles nues. On le prend. » (témoignage de Jean Rollin dans le documentaire « Jean Rollin, le rêveur égaré », de Damien Dupont et Yvan Pierre-Kaiser.)
Bon an, mal an, le film est sorti. (« Le Scarlet », le « Midi-Minuit », « Ciné Vox Saint-Lazare » et « Le Styx »). C’était une belle sortie quatre salles. Et c’est sorti au début de mai 1968. C’est-à-dire en pleine insurrection, il m’est même arrivé de me réfugier au Styx dans la salle qui passait mon propre film ; pour éviter une charge de police ; et être obligé de sortir en courant de la salle parce que les grenades lacrymogènes, le gaz passait par les bouches d’aération, et les gens ne pouvaient plus regarder le film. C’était affolant. Enfin, toujours est-il que c’était en même temps la grève générale, donc les gens qui ne travaillaient plus. Et, il n’y avait plus de transports non plus, donc ils ne pouvaient pas tellement se déplacer. Et ils allaient au cinéma. Mais alors le cinéma n’a jamais si bien marché que pendant mai 68. Et j’en ai bénéficié, parce que le film a fait des recettes formidables. Alors les frères Boublil au « Midi-Minuit » étaient ravis. On avait une semaine au départ et on est resté trois semaines. Et en plus comme les compagnies majors de cinéma n’osaient pas sortir de films pendant les événements pensant que personne n’irait au cinéma. Ce en quoi ils ont eu tort. Je suis le seul film qui soit sorti cette semaine là, donc les critiques de cinéma dans les journaux qui n’avaient rien à se mettre sous la dent, ils ont tous été voir Le Viol du Vampire. Et ils ont tous fait une critique. J’ai été traîné dans la boue comme jamais de ma vie. Cela a été épouvantable. Le Figaro a écrit : « on dirait un film fait par une équipe de carabins après un repas trop bien arrosé. » Il y en a un, un journal de province, je le cite toujours car je suis tellement fier de cela qui a écrit:«Tout dans ce film est un défi au bon sens» ».
Personne n’y a jamais rien compris au Viol du vampire, à part moi qui comprend très bien le déroulement de l’histoire. Et j’ai toujours été très surpris que personne au monde ne comprenne rien, quelque chose à l’histoire. Pour moi, elle est limpide. L’américain Sam Selsky qui avait produit le film en mendiant des sous un peu partout dont à l’American Legion ; en promettant un rôle à des américains fous qui voulaient jouer. Enfin, il y a deux ou trois américains dans le film. Quand il a vu, qu’il a pu tourner pour 100.000 francs 45 minutes, il s’est dit on serait fou de sortir cela en double programmation avec Le Vampire, créature du diable.Pour le même prix, on va refaire 45 minutes, la suite et on va avoir un grand film, un long métrage pour le prix de même pas un court métrage. La difficulté comme je l’ai raconté souvent est que j’avais tué tout le monde à la fin du premier épisode. Alors il fallait donc ressusciter les gens. Alors on a fait un concours et tous les copains se sont mis à chercher une suite ; et alors j’ai eu des choses insensées qui sont arrivées. Et finalement, j’ai voté pour mon projet pour les 45 minutes suivantes. J’ai inventé une Reine des vampires qui sort brusquement de la mer et qui ressuscite tous les morts. Et on a fait la suite. On avait un tout petit peu d’expérience pour la suite qui s’est appelée «La Reine des vampires ». Parce que l’on avait fait la première partie qui durait 45 min. Donc on était un petit peu rôdé. On avait vu tourner une caméra. On avait vu à quoi on se heurtait. Et moi, j’avais acquis un tout petit peu de métier.
Le champ-contre-champ :
Bon en principe, quand on a deux personnages qui parlent et que l’on veut passer de l’un à l’autre. On filme d’abord tout ce qui se passe sur l’un et puis ensuite on balance les lumières de l’autre côté et on filme tout ce qui se passe sur l’autre.
Moi, j’étais tellement amateur et débutant, je ne faisais pas cela ; je filmai la phrase de l’un puis je retournai la caméra sur l’autre et on changeait toutes les lumières, on filmait la réponse de l’autre puis je revenais au premier ; chaque fois, il fallait changer toutes les lumières.
Bon, enfin, c’était l’amateurisme le plus complet.
Je n’osais pas du tout intervenir sur le jeu des comédiens ; je me disais, c’est leur métier, ils savent ce qu’ils font.
Le film acheté s’intitulait : Le Vampire, créature du diable [Dead Men Walk (Créature du diable), 1942] de Sam Newfield (1899-1964),  un film pour la double programmation, acheté sans avoir pu le voir, et le film durait 1H10 minutes. Ce n’était pas suffisant. Alors cet ami me dit : « Il nous manque au moins 25 minutes de film pour un double programme. Alors, toi, je sais que tu aimes bien les histoires de vampires, de fantastique ; si tu peux trouver un financement pour tourner un film fantastique, on te garantit une distribution dans quatre salles (« Le Scarlet », le « Midi- Minuit », « Ciné Vox Saint-Lazare » et « Le Styx »). J’étais tout content à l’idée de faire un premier film je n’avais fait que des courts-métrages. Je me mets en quête pour trouver un financement pour un film d’une demi- heure.
Ce film est devenu Le Viol du vampire qui est réellement un vrai film d’amateurs : c’est-à-dire que toute l’équipe, comédiens et techniciens qui étaient tous des copains et personne n’avait d’expérience à part Jean- Loup Philippe qui était le seul professionnel. Pour tout le monde c’était un premier film. Et on a tourné dans des conditions de folie absolument incroyables. Et quand on a eu tourné (en noir et blanc) au bout d’une semaine et demie les 30 minutes, et cela avait coûté en anciens francs 100.000 francs, trois fois rien. Bon, et puis il y avait des images assez fortes.
Témoignage de Jean Rollin filmé chez lui rue Haxo Paris en 2002, entretien filmé réalisé par Gaël Golhen et Nicolas Rioult
(12 min51s):
Le film se produisit et fut réalisé dans des circonstances étonnantes : « Un ami qui avait une société de distribution qui s’appelait « Sodireg » m’a dit un jour, écoute avec Simone Lancelot, qui était propriétaire du cinéma de quartier « Le Scarlet », et qui marchait avec « Le Midi-Minuit ». (14 Boulevard Poissonnière Paris IXème) des frères Boublil et le « Saint- Lazare ». Ils avaient acheté un film de vampires aux Etats-Unis, pour le sortir dans leurs salles. Ces salles là étaient spécialisées dans la série B (...) des films un peu sulfureux, policier, d’épouvante ou e pseudo- documentaires un peu érotiques.
Le Viol du Vampire (1968) :
Un film étrange en noir-et-blanc (1H37minutes), sous-titré: « Mélodrame en deux parties », très expressionniste. On pense aux films de Mario Bava, au giallo italien et surtout au surréalisme de Luis Buñuel. « J’ai eu une éducation un petit peu proche du surréalisme. J’avais lu les surréalistes très jeune. Et je m’étais enthousiasmé pour ce que cela voulait dire. » déclarait Jean Rollin en 2002 à Gaël Golhen et Nicolas Rioult11 ;
Le Viol du Vampire est une sorte de chef d’œuvre dadaïste. La tonalité du film est proche du théâtre de grand-guignol qui avait tant marqué Jean Rollin dans sa jeunesse et sa vie durant. Un très beau passage du film se déroule dans le cimetière à 52 minutes du début.
Sur ce premier véritable long-métrage de Jean Rollin, seul JLP est un comédien professionnel et très expérimenté.
Malheureusement, il ne reste que quelques photographies de ce film disparu ce qui laissait inconsolable Jean-Loup Philippe. Le film était interprété par R.J. (René-Jean ?) Chauffard (acteur fétiche de Jean-Pierre Mocky et de Jean Rollin qui lui dédie La Rose de fer (1973)), le mythique comédien Gaston Modot (le célèbre garde-chasse de La Règle du Jeu de Jean Renoir), Silvia Monfort, Anne Tonietti ; et apparaissait également Michel Fardoulis- Lagrange, écrivain, revue Troisième Convoi (1948-1951), proche de Georges Bataille.
L’itinéraire marin  (1962), scénario de Jean Rollin, dialogues de Marguerite Duras. Marguerite Duras était une amie du père de Jean Rollin, Claude Martin, qui était comédien au théâtre notamment sur des pièces de Duras. « J’ai rencontré Duras quand j’allais voir mon père répéter au théâtre. » (témoignage de Jean Rollin dans le documentaire Jean Rollin, le rêveur égaré  de Damien Dupont et Yvan Pierre-Kaiser ).
Jean-Loup Philippe rencontra Jean Rollin pour la première fois dans le salon littéraire de sa mère, tous deux étant issus de familles liées au milieu littéraire, puis le revit lors de la première des soirées du « Domaine Poétique » qui eut lieu à Paris à la Galerie du Fleuve le 21 novembre 1962 où Jean Rollin, grand lecteur érudit et passionné de poésie s’était rendu. Jean Rollin fut d’ailleurs quasiment le seul à ce moment là (avec le critique d’art Gérald Gassiot-Talabot) à écrire dans la presse une critique très sensible et élogieuse de la démarche entreprise par JLP pour défendre des poètes alors inconnus : qualifiant l’entreprise d’« une des meilleures tentatives d’avant-garde depuis des années ».
Cela scella une amitié durable et devait augurer d’une collaboration fructueuse de cinquante ans.
Mais si on essaie de faire une recherche, entre d’un côté Franju, Buñuel etc.... de l’autre côté les surréalistes, et d’un troisième coté mes goûts littéraires, on arrive à faire une synthèse de tout cela et à me trouver.
On m’a demandé souvent, si je préférais faire des films, ou écrire des livres or, pour moi, c’est un peu la même chose.
Sauf que, quelque part, c’est plus facile d’écrire des livres, avec une machine à écrire et une rame de papier, que de faire des films ; c’est un peu la même démarche.
J’ai autant de satisfaction quand j’ai terminé un livre que quand j’ai terminé un film.
Mon principe est plutôt celui de l’écriture automatique.
Par exemple, quand j’écris un scénario, la plupart du temps, je n’ai pas d’idées préconçues, de trame d’une histoire si vous voulez, cela vient au fur et à mesure, simplement je me censure un petit peu pour que cela rentre dans un budget auquel j’ai accès. Bon.
Mais en dehors de cela, ce n’est pas vraiment réfléchi. Par exemple, un de mes vieux films qui est un de mes films préférés, qui est Requiem pour un vampire : au départ, j’avais deux images sans aucun rapport l’une avec l’autre : j’avais un piano à queue dans un cimetière  avec quelqu’un qui jouait dessus. Bon, en l’occurrence, forcément Louise Dhour qui était une copine à l’époque qui était une chanteuse et qui s’accompagnait au piano ; or s’est imposé à moi un petit cimetière de campagne isolé avec un piano à queue la nuit et quelqu’un qui jouait dessus, c’était une image, je voulais cela ; et puis il y avait une autre image qui montrait deux filles déguisées en clown qui  se sauvaient et il y avait un cadavre décomposé dans un endroit où elles arrivaient ; et encore une image de musique : dans une chapelle, quelqu’un qui jouait de l’orgue une femme qui se retournait et qui avait des dents de vampire... et ceux les gens qui écoutaient étaient recouverts de manteaux et puis on venait en contre-champ et on découvrait que c’était des squelettes.
 
J’ai commencé à écrire un scénario pour y inclure ces deux images.
Au départ, j’avais les deux filles, c’étaient des évadées d’une fête patronale... cela justifiait qu’elles soient habillées en clown et il leur arrivait tout un tas d’aventures.... C’était écrit au fil de la plume, des histoires écrites au fil de la plume. Et j’ai inclus ces deux images.
J’ai écrit comme cela plus de la moitié du film.
Je me suis aperçu à la fin :C’était écrit au fil de la plume, j’inventais au fur et à mesure. J’ai eu une brève période enfant où j’étais scout et dans les camps avant l’extinction des feux, c’est ainsi que le chef scout racontait les histoires en les inventant visiblement au fur et à mesure. Je fais partie de cette école, principe-là.
Je me suis aperçu ayant écrit la moitié du scénario, qu’il n’y avait pas une phrase de prononcée.
C’était muet. C’était vraiment très réjouissant de faire ce film sans paroles.
Dès qu’il n’y a pas de texte à dire, les acteurs inconsciemment bougent différemment,
Il rejoignent un petit peu la façon qu’avaient les acteurs expressionnistes du temps du cinéma muet expressionniste de jouer en Allemagne, Conrad Veidt, des gens comme cela.
 
Je travaille de cette manière. C’est-à-dire : Le scénario du Requiem a été écrit en deux jours puis les dialogues après. Comme cela en inventant au fur et à mesure. Et l’histoire était très amusante, et puis, on fait des repérages on a trouvé les décors qui allaient avec. Et le film a bien marché. ». (Dans les yeux de Jean Rollin Entretien avec le réalisateur atypique du cinéma français... ».
Dans les yeux de Jean Rollin
Entretien avec le réalisateur atypique du cinéma français... ». https://www.youtube.com/watch?v=WaRcoT0hdL0
Interview présente sur le DVD "La Morte Vivante" de la collection Jean Rollin. Réalisé par Virgile Ollivier © L.C.J Editions & Productions - Durée : 14min 55s.)
Influences littéraires :« Des influences littéraires, bien sûr, qui peuvent surprendre car ce ne sont pas les mêmes que celles qui viennent du cinéma ou de la peinture. Je suis très influencé, par exemple, par ce que l’on a appelé l’école intellectuelle de l’après-guerre, par Georges Bataille, Blanchot et à part cela, par Henry James qui est une espèce de Marcel Proust américain où certains de ses livres sont pour moi des choses incontournables. Par exemple, un texte pas très connu qui s’intitule :
Les Papiers de Jeffrey Aspern (1888) qui est pour moi un des grands livres. C’est une autre catégorie d’influence.
Dans un entretien filmé chez lui10, Jean Rollin s’expliquait sur ses références, ses influences autant littéraires, cinématographiques que picturales :
« Des références artistiques que je ne clame pas sur les toits.
Mon cinéma doit beaucoup au surréalisme, à la peinture.
J’ai eu des influences picturales très fortes.
J’ai même reconstitué des tableaux vivants dans certains de mes films.
 
Et ceux que je reconnais volontiers comme étant des maîtres pour moi d’un certain cinéma poétique :
C’est Franju, Buñuel ce sont des gens comme cela. »
«Et bien le surnaturel, c’est quelque chose que l’on ne peut pas expliquer. Tandis que le fantastique c’est créé par l’homme, l’auteur, le fantastique peut s’expliquer par le rationnel, le mental, l’imaginaire (quelque chose que l’homme arrive un peu à maîtriser) que ce soit une image ou un texte.
« Tandis que le fantastique vient de nous. »
De sa longue collaboration avec le grand cinéaste Jean Rollin de la poésie du fantastique (6 films dont le chef-d’œuvre dadaïste : Le Viol du Vampire  (1968)), des tournages de films qui s’étendent sur un laps de temps du début des années soixante aux années 2000 :
Jean-Loup Philippe fut ainsi l’acteur fétiche du cinéaste et ne le dissimulons pas un des comédiens les plus professionnels et expérimentés qui y apparurent, comme dans d’autres films certains comédiens professionnels tels l’ami Hugues Quester (dans le film : La Rose de Fer) ou encore Willy Braque (pseudonyme de Guy Peyraud, né en 1933-2022)) (personnage haut en couleurs dont je conserve des souvenirs étonnants), Jean-Loup Philippe fut d’ailleurs coach sur Killing Car :
Donc six films avec Jean Rollin tournés entre 1962 et 2006 : L’itinéraire marin (1962),  Le Viol du Vampire  (1968),  Lèvres de sang  (1975) (co- scénariste), « Fugues mineures / Les paumées du petit matin » (1981),  Killing Car - La voiture rouge sang  (1993) (comédien et coach), et  La nuit des horloges  (2006) sans compter les films signés sous pseudonyme par Jean Rollin...
Photo ©Véronique D.Travers
La révélation se produisit pour Jean Rollin lors d’une projection au Cinéma L’Arlequin à Paris rue de Rennes, lors d’un « mardi du ciné- club » et la projection de trois films à la suite : Un chien andalou court- métrage de Luis Buñuel datant de 1929, Le Sang d’un poète (1932) de Jean Cocteau et Les Voisins de Norman McLaren :
« Des films somnanbuliques, dans lesquels la trame se faisait et se défaisait. Il n’y avait pas de cohérence, de récit traditionnel.
Les comédiens étaient parfois approximatifs, parfois bons, parfois moins bons mais donnaient place et possibilité au surgissement d’un éclair de surprise. »
« Georges Franju était mon maître. Mais j’avais parfaitement conscience d’être entièrement en dehors, marginal, atypique par rapport aux cinéastes italiens ou américains de fantastique ou d’horreur. »
Il est pour le moins contradictoire de vouer aux gémonies un réalisateur intègre et sincère, un véritable « auteur » qui a constamment suivi un processus de création cohérent avec une esthétique immédiatement identifiable, signant par ailleurs sous pseudonyme des œuvres de commandes alimentaires (films X, pornographiques...).
Mais la critique (des fois stupidement définitivement comme Alain Riou) et le public furent longtemps incapables de voir en lui une figure emblématique d’un nouveau genre de films, où se mêlent fantasmes, visions et écriture automatique, romantisme et surréalisme, caractérisés par la récurrence du thème vampirique, la mise en valeur de décors sépulcraux et de vieilles demeures abandonnées héritées du roman gothique Noir. Jean Rollin explorait à sa façon ce que la société de production de la Universal aux États-Unis puis surtout de la Hammer en Angleterre réalisa durant les années 1950-1970 avec des cinéastes tels Terence Fisher, John Gilling...
L’œuvre de Jean Rollin mêlait de nombreuses influences littéraires, picturales et cinématographiques (nous y reviendrons) héritées de son enfance (Le Capitaine Fracasse (1943) d’Abel Gance) et autant du Théâtre du Grand-Guignol, des films de monstres américains de la Universal que du surréalisme autant poétique et littéraire que pictural (de Delvaux à Magritte) et des ouvrages d’Henry James...
« J’étais très influencé par la peinture surréaliste de Paul Delvaux. Il y a des choses très curieuses dans cette peinture là. Mêlant érotisme et onirisme. Cela débouchait sur un onirisme qui me plaisait bien, me touchait. » (extrait d’un entretien filmé avec Jean Rollin).
Des festivals consacrés au cinéma fantastique lui remettent des prix (San Sebastian en Espagne...). Ou lorsque la chaîne de télévision culturelle franco-allemande Arte diffuse La Fiancée de Dracula par exemple. Lors de l’avant-première de son film La Fiancée de Dracula à la Cinémathèque Française à Paris, la salle était pleine, et ils ont été obligés de refuser du monde, des gens sont repartis... « Il y a quand même un petit public en France qui aime ce que je fais, ce qui manque ce sont les salles de cinéma pour sortir et programmer ces films. » constatait Jean Rollin (qui n’avait pas l’avantage de Jean-Pierre Mocky qui, propriétaire de la salle de cinéma Le Brady puis du Desperado à Paris pouvait y projeter ses films refusés dans les circuits de distribution traditionnels tout à loisir).
Jean-Pierre Bouyxou qui témoigne dans le documentaire Jean Rollin, le rêveur égaré perçoit l’œuvre du cinéaste comme anti-réaliste, psychédélique et allant jusqu’aux limites du cinéma.
Jean Rollin est devenu un cinéaste culte aux États-Unis, en Angleterre et en Allemagne.
Je ne redirai jamais assez mon admiration pour Jean Rollin, cinéaste du « réel merveilleux », de la poésie fantastique dans la lignée de ses maîtres : Luis Buñuel  (dont il faillit être l'assistant tout comme de Georges Franju mais les films ne se sont pas fait).
Jean Cocteau ou Georges Franju, ou de ses contemporains (Jess Franco) eux-mêmes réalisateurs artisanaux  et assez marginaux, anomalies dans l’industrie du cinéma (d’exploitation). C’est à Jean Rollin que je dois d’avoir rencontré Jean-Loup la première fois il y a près de vingt ans...
 
Jean Rollin reste un paradoxe dans l’histoire du cinéma français de la seconde moitié du XXème siècle. Artisan très méticuleux, qui a débuté par des courts-métrages qui sont déjà des chefs d’œuvres étranges et surréalistes : Les Amours Jaunes (1958) d’après Tristan Corbière, Ciel de cuivre (1961), Vivre en Espagne (1964) et Les Pays Loin (1965). Ces courts- métrages témoignent de son vif intérêt pour le nouveau roman, et sa déconstruction dans la narration (proche des films d’Alain Robbe- Grillet), mais il passent très injustement inaperçus.
 
Jean Rollin n’a jamais bénéficié de la clémence du public, du bénéfice du doute accordé devant une recherche personnelle, ni d’une réputation honorable, générant durant toute sa vie et sa carrière (et encore trop souvent aujourd’hui) le dédain et le mépris de ses contemporains. Ce rejet du milieu du cinéma dura pratiquement toute sa vie avant qu’un public ne se constitue petit à petit et que certains cinéphiles (de « Hors- circuits » (Stéphanie Heuze)) et historiens du cinéma érudits (Jean-Pierre Bouyxou, Jean-Pierre Dionnet pour « Cinéma de Quartier » sur Canal +, Jean-François Rauger à la Cinémathèque Française, les critiques Stéphane du Mesnildot, Nicolas Stanzick...) se livrent à une relecture et une réévaluation tardive de son oeuvre quelques années seulement avant son décès. La rediffusion de ses films sur Canal+ et les chaînes câblées générèrent des rentrées d’argent qui lui permirent de  produire avec des budgets très modestes ses derniers films. L’appréciation de l’œuvre de Jean Rollin s’est donc progressivement inversée à partir de la fin des années 1990 et du début des années 2000.
À peine la sentence prononcée Catherine Dupré part pour la Côte d’Azur avec un autre amant.
Cassidi comprend qu’il a été manipulé, demande à Maitre Philiiet de se pourvoir en cassation. »
Dans le film Jean-Loup Philippe qui interprétait l’ex-fiancé de l’infirmière Gina était interrogé par le juge d’instruction Gaudet (Bourvil).
Jean-Loup Philippe me raconta la gentillesse et la modestie de Bourvil lors des scènes qu’ils partagèrent et qui furent filmées : le texte des répliques figuraient sur des manchettes pour pallier à un problème de mémoire du comédien.
 
JLP me raconta qu’il avait été pressenti par son ami cinéaste Roger Vadim pour interpréter le premier rôle masculin dans Et Dieu...créa la femme (1956) mais ce fut finalement Jean-Louis Trintignant qui joua le rôle du jeune Michel Tardieu aux côtés comme l’on sait de Brigitte Bardot (dans le rôle de Juliette qui fait chavirer les cœurs à Saint-Tropez et la consacra sex-symbol) qui était par ailleurs une grande amie de Jean- Loup...Le film eut un succès commercial considérable et créa le mythe mondial « B.B. ». Comme JLP le disait sans aucune amertume ni regret s’il fut une vedette au théâtre, il ne parvint pas à imposer son image au cinéma durablement (même s’il tourna un certain nombre de films) ; il faut avoir également à l’esprit la très rude concurrence entre tous les jeunes premiers et comédiens très doués de sa génération qui tous essayaient de se faire connaître et passaient les mêmes auditions pour les mêmes rôles...
JLP me raconta que Roger Vadim lui avait dit : « Il faut coucher Jean- Loup pour obtenir les rôles ! » ce que, bien sûr, il se garda bien de faire... Jean-Loup me confia d’ailleurs un jour que le métier d’acteur et le statut de vedette était très angoissant à ses yeux : « Je ne supportais pas d’être une valeur monnayable. »
Puis son physique changeant, et ses aspirations également, JLP a soutenu des projets beaucoup plus exigeants comme : L’Itinéraire Marin , scénario de Jean Rollin, dialogues de Marguerite Duras, et premier film du grand cinéaste marginal Jean Rollin (1938-2010) lié lui-même par sa famille au surréalisme...
Au cinéma, Jean-Loup Philippe eut l’emploi de jeune premier à la fin des années cinquante et au début des années soixante, dans des films de Marc Allégret, de Christian-Jaque (dans « Les Bonnes Causes » (1963) où dans le rôle du jeune premier amant de Gina, il partage des scènes avec Bourvil qui interprète le juge d’instruction Gaudet), d’Anatole Litvak (Aimez-vous Brahms ? où il apparaît dans un club avec Jean-Pierre Cassel et Yul Brynner, un film dans lequel joue Ingrid Bergman) ou encore Henri Verneuil... du cinéma de solides metteurs en scène renommés du cinéma français.
 
« Le film narre l’histoire de Gina (Virna Lisi) qui est l’infirmière dévouée de Paul Dupré riche industriel soigné pour des problèmes cardiaques. Dupré meurt brutalement lors d’une injection faite par Gina et son épouse Catherine (Marina Vlady) accuse Gina avec l’aide du célèbre avocat Charles Cassidi (Pierre Brasseur) qui est aussi son amant.
Gina est défendue par l’avocat débutant Maître Philliet (Umberto Orsini). L’enquête est menée par le juge d’instruction Albert Gaudet (Bourvil).
Très vite, Gaudet trouve que trop de coïncidences ou d’incohérences accablent Gina que la connivence et liaison entre Catherine Dupré et Cassidi sont troublants d’autant que Cassidi a écrit des articles sur le crime parfait.
Mais quand Gaudet croit avoir trouvé le témoin pour confondre Catherine Dupré, ce dernier perd ses moyens face à Cassidi qui sait pourtant que Catherine Dupré est coupable.
Gaudet demande à être dessaisi et témoigne au procès.
Mais Gina est condamnée à huit ans de prison.
C’était très amusant à faire, si tu veux, mais dangereux. Et je me souviens de Jean Tardieu qui me téléphone : « Écoutez, il y a des anglais ; ils sont absolument insensés, on ne peut rien tirer d’eux, ils hurlent dans tous les sens ; ils sont immaîtrisables. C’est épouvantable, scéniquement, que pouvez-vous faire avec eux ? » J’ai cherché ... et j’ai dit : « Écoutez, on va mettre une immense échelle sur scène des deux côtés comme ça (JLP imite avec ses mains la position de l’échelle ouverte) et puis simplement un point lumineux sur l’échelle. Comme ce sont des gens qui cherchent à s’exprimer. Et bien, ils vont monter sur l’échelle et cela va devenir un spectacle. Comme cela, tu vois ce que je veux dire, avec les ombres (JLP imite d’un mouvement de ses mains des ombres glissant dans l’espace). Et puis, il y avait des tas de choses aussi, par exemple, il y avait un poème, c’était un bloc de glace qui fondait, c’était un poème lapon, je crois (il éclate de rire)...Enfin, tu vois, il y avait toutes sortes d’actions scéniques, inventées, dont on ne peut pas dire que c’était du théâtre, non, et qui étaient aidés par des comédiens, par des sculpteurs, des peintres et des musiciens évidemment qui faisaient aussi des recherches dans leur sens d’une nouveauté qui pouvait les passionner, vraiment.»
JLP eut aussi l’occasion de travailler avec les grands comédiens suédois du Théâtre Royal de Stockholm de la troupe d’Ingmar Bergman, invités à Paris par Pontus Hulten.
Ce fut également l’occasion pour JLP de faire représenter pour la première fois sur scène une de ses pièces.
Lors de la « Biennale de Paris », JLP se souvenait notamment d’une vive réaction du poète Jean-Pierre Rosnay (né à Lyon en 1926-mort à Paris en 2009) - poète fondateur du Club des Poètes, 30 rue de Bourgogne, 75007 Paris – « un homme tout à fait estimable », qui lui dit devant des expérimentations de poésies sonores, picturales et musicales, composées d’onomatopées, de projections etc... : « Alors, Jean-Loup, Ce n’est pas possible. La poésie, c’est fini ? Mais alors, on ne va plus écrire ? ». Et je lui dis : « Mais non, mais non !! ».
« Je lui ai dit : « Mais si, mais si, ne t’inquiète pas, Rosnay. Chacun a le droit de s’exprimer. L’un avec une boîte d’allumettes et l’autre avec autre chose. Cela a été quand même un gros succès, si tu veux.
Malheureusement il n’en reste rien. C’est triste. Sauf, évidemment des papiers et toutes les séances décrites avec les mises en scène, j’ai tout gardé,... (JLP désigne ses affiches et archives papiers) les idées de mise en scène. Maintenant, peut-être qu’un jour on les retrouvera. Je n’arrive pas à comprendre comment cette dame a pu avec les crédits, cela coûtait quand même très cher. Comment cette dame a pu faire disparaître cela en disant: « C’est mauvais, c’est mauvais. On ne peut pas les enregistrer. » Elle avait peut-être raison du point de vue radio. Mais, c’étaient des expériences et il fallait les garder, non ? Voilà. Donc, dans toutes ses expériences, moi-même je suis parti faire travailler les comédiens d’Ingmar Bergman, le metteur en scène, je les avais fait travailler ces comédiens sur « Poï Poï » de Robert Filliou au Musée d’Art Moderne de Stockholm, la troupe l’équivalent de la Comédie-Française : du Théâtre Royal de Stockholm. « Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Me disaient-ils, on ne peut pas... » Je leur disais (il rit) : « Ne vous en faites pas... ne vous en faites pas. Si vous pouvez faire exactement ce que je vous demande, vous allez voir. Et, ils ont eu énormément de succès. Et c’était incroyable et après même dans les prisons, les prisonniers jouaient « Poï Poï » de Filliou. Et moi, je venais avec un balai, je ramassais les pierres et les mots et voilà, et tous les ennuis de la vie que Robert Filliou lançait. ».
Jean-Loup Philippe me déclara un jour : « J’essayais toujours de renouveler mon aventure sur le langage et sur moi-même (comme mon maître Jean Tardieu). C’est ce que j’ai cherché à faire ensuite avec Les Ils et mes autres écrits. Avec Bernard Heidsieck et Henri Chopin dont j’étais très proche (j’ai conservé une importante correspondance inédite échangée avec lui), nous sommes des résistants, des combattants, par amour, en écrivant vers l’imaginaire pour s’échapper de la réalité quotidienne. Je suis persuadé qu’on est multiple, plusieurs. L’identité, le passeport est quelque chose de tout à fait restrictif. » D’ou la boulimie d’activités : jeu, mise en scène et écriture qui caractérisa sa vie durant son parcours unique et transversal des arts.
Tardieu était à ce moment-là directeur de France Musique. Et il y avait un metteur en ondes, mais il était incapable de diriger tout cela, parce qu’il ne savait pas. Et les comédiens ont dit : « Non, nous, on veut travailler avec Jean-Loup Philippe. » Et Tardieu a remercié cette dame et lui a dit : « Non. Vôtre rôle sera uniquement d’enregistrer tout cela. »
Et ces enregistrements comme tu sais sont perdus. Ils ont été perdus. On ne les a jamais retrouvés. Et c’était énorme, on avait une salle qui était remplie deux fois par semaine pendant deux ou trois mois...Une vingtaine de séances...Je ne sais plus...
Vingt spectacles, c’est cela. C’était énorme, tu vois. On payait les gens. Il y avait des crédits. On payait leur voyages aussi bien : des Argentins, des Péruviens, des Japonais... et à chaque fois qu’ils arrivaient, hop, ils étaient précipités et on allait chez moi dans ma petite maison, rue du Pavillon à Boulogne.
Et tout de suite avec traduction etc., j’essayais de mettre en scène,
à toute vitesse une proposition scénique en essayant de les comprendre ; pour qu’ils puissent s’exprimer.
« Ensuite, il y a eu Jean Tardieu qui m’aimait beaucoup ; J’avais joué plusieurs pièces de lui.
Il m’a confié « La Biennale de Paris » en octobre 1963 (Musée municipal d’Art Moderne à Paris : « Biennale de Paris, Arts du Langage, Poésie & Théâtre. Nouvelles tendances. ») :
« On a battu à travers le monde, si tu veux, une sorte de tam-tam secret... pour réunir toutes les personnes qui essayaient de s’exprimer et il y avait aussi bien des Eskimos, des Lapons... Et c’était des gens d’une très grande qualité aussi. Mais cela ne s’est pas passé par ambassades.
Par jalousie, le poète, cinéaste et plasticien roumain Isidore Isou (1925- 2007) fondateur du Lettrisme en 1945, vint perturber les représentations du « Domaine Poétique » à l’American Center, la présence de François Dufrêne bientôt transfuge du Lettrisme n’y était sans doute pas étrangère.
C’est en découvrant l’initiative du « Domaine Poétique » que l’écrivain, poète et homme de radio, Jean Tardieu (1903-1995) qui connaissait déjà bien JLP, ce dernier ayant joué dans plusieurs de ses pièces de théâtre, eut l’idée de lui confier (avec Jean-Clarence Lambert) l’organisation de la Biennale de Paris au Musée Municipal d’Art Moderne à Paris en 1963 : il s’agissait d’un projet encore bien plus ambitieux et fou : la création de 23 heures de spectacle expérimentaux, lors de vingt-deux soirées où devaient se dérouler vingt spectacles.
La Biennale de Paris : « Arts du Langage, Poésie et Théâtre » eut lieu en octobre 1963 au Musée Municipal d’Art Moderne, avenue du Président Wilson, sous la direction artistique de Jean Tardieu (grand poète et directeur de l’O.R.T.F.), Jean-Clarence Lambert et Jean-Loup Philippe (du « Domaine Poétique »). :
Lors de cette « Biennale de Paris », JLP eut la lourde charge de trouver « en quatrième vitesse » des solutions scéniques et des propositions de qualité à de très nombreux groupes de poètes internationaux qu’il découvrait alors et qu’il les accueillait même souvent chez lui, dans sa maison, située alors, rue du Pavillon à Boulogne, pour leur assurer un hébergement digne et rendre le tout viable lors de séjours éclairs dans la capitale française : JLP vécut ainsi avec des groupes de poètes Argentins, Britanniques... JLP fut familier sa vie durant avec le fait d’accueillir généreusement et d’héberger des artistes à son domicile c’est ainsi qu’un souvenir d’un séjour chez JLP, le peintre canadien Jean-Paul Riopelle (1923-2002) accepta immédiatement une collaboration avec lui, alors qu’il était déjà très malade, sur ce qui se révéla son dernier livre d’artiste enrichi de somptueuses gravures : Larmes à petits flots (éditions Maurice Felt, 2002).
JLP se souvenait d’un groupe de poètes Britanniques immaîtrisables, de poètes Japonais etc... pour qui il devait à chaque fois trouver dans la minute des actions scéniques à accomplir à la demande de Jean Tardieu et parfois en se comprenant par signes uniquement.
L’artiste français Jean-Jacques Lebel les fréquenta dès cette époque.
« Donc mon idée, c’était en définitive, que c’était le poète qui descende directement sur scène entouré d’un univers scénique qui puisse correspondre à son système d’expression, son domaine... Donc c’était très délicat... C’était très intéressant d’ailleurs, c’était expérimental comme on dit... On se demandait, bon... On allait un peu vers une sorte de proposition qui pouvait paraître complètement folle à beaucoup de gens. Et donc on a créé comme cela avec Dufrêne, Robert Filliou, Brion Gysin, Ghérasim Luca, le « Domaine Poétique » ;
Et on a fait la première séance à la Galerie du Fleuve [le 21 novembre 1962.]
Et là, Il y avait dans la salle Isidore Isou qui hurlait dans la salle. Cela le dépassait un peu, et qu’il allait être un peu remplacé par ce genre de choses ;Il y avait des gens qui protestaient et d’autres qui adoraient. Cela a commencé comme cela. Et puis on a donné d’autres représentations.
Cela a eu un énorme succès et particulièrement à l’American Center (au Centre Américain, 261 Boulevard Raspail), dont j’ai été le directeur artistique ensuite un certain temps. J’avais une troupe et on a monté des pièces. Donc voilà. Tu sais, c’est....
Et je me souviens de Robert Filliou, qui me disait, alors qu’on était là, sur l’île Saint-Louis tous les deux : « Écoute, moi, je ne sais pas. Est-ce que c’est le monde qui est fou ou est-ce que c’est nous qui sommes fous ? ».
«Parce que tout était assez extraordinaire comme moyen d’expression, c’était aussi la qualité de ces gens...
« Et… Poï Poï, Poï PoÏ » (et cela recommençait)
Et ce texte a eu un succès énorme. De même que Brion Gysin. C’était tellement nouveau, cette expression, ces permutations avec des coups de feu avec son image qui parlait à elle-même et on ne savait pas laquelle était vraie tellement c’était bien fait visuellement. C’était tellement bien fait. C’était Yvaral qui faisait les projections, il était tout jeune à ce moment-là. Et puis cela a eu un immense succès. 6»
 
Les poèmes de Robert Filliou : « Un poème de 53 kilos » dans lequel Robert Filliou s’asseyait sur scène et ouvrait une valise qu’il vidait progressivement remportèrent un succès énorme.
De l’avis de Jean-Loup, le poète le plus faible et qui fit exploser la cohésion du « Domaine Poétique » fut Jean-Clarence Lambert.
« Alors moi, j’ai travaillé beaucoup avec Robert Filliou, parce qu’il était passionné par le théâtre et par ses poèmes : « Poésie d’action » :
JLP imite Robert Filliou se produisant sur scène :
« Poï Poï (Il se trainait sur la scène avec une lourde valise).« Poésie... une lourde peine. Un cœur qui pèse. » « Un poème de 53 kilos » (et puis il s’asseyait. Il ouvrait sa valise et il disait en s’adressant aux spectateurs : « Alors cela va ? Et ta femme, elle va bien ? (Il interrogeait les gens) » et puis à un moment, il sortait de sa valise des textes et des textes, qu’il fallait ramasser, c’était un enchaînement avec toutes sortes, comment dire ?... de sentiments aussi bien de la rage, que de l’amour, que de la fureur... qui étaient comme des couleurs, si tu veux...et cela se terminait toujours avec une énorme pierre (qu’il sortait de la valise).
William S. Burroughs (américain, né à Saint-Louis, Missouri en 1914- mort à Lawrence, Kansas en 1997) fit la première lecture publique du Festin Nu (Naked Lunch) publié en 1959 à Paris chez Olympia Press par l’éditeur Maurice Girodias (1919-1990)lors d’une des soirées du « Domaine Poétique » à Paris.
Le titre Naked Lunch fut donné par Jack Kerouac, et il ne fut publié aux États-Unis qu’en 1962 mais interdit pendant dix ans à cause de lois régnant sur l’obscénité (on pense à Henry Miller et son Tropique du Cancer publié d’ailleurs en France à Paris par le père de Maurice Girodias, l’éditeur Jack Kahane chez Obelisk Press en 1934.)
William S. Burroughs écrit Le Festin Nu (Naked Lunch) à Tanger sous drogue entre 1954 et 1957 à l’aide de la technique du « cut-up » inventée par son ami Brion Gysin : une réorganisation matérielle des chapitres après que leurs éléments ont été découpés, mélangés et recollés, dans une procédure inédite de Brion Gysin que l’on peut apparenter aux transes créatrices des surréalistes.
William S. Burroughs mélange drogue, politique, homosexualité, hallucinations, délire paranoïaque dans une danse des mots et cette forme délirante est scandée par une sorte de satire sociale directement issue des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift. Le texte se veut une descente cauchemardesque dans l’esprit d’un junkie, dans l’Interzone pays de fiction. Transcendant la forme classique d’un roman en la déstructurant, le maltraitant, la forme et le fond, donnant chair à ses divagations morphinisés dans des allégories oscillant de la fiction à la tragédie. Rappelons, que William S. Burroughs est issu d’un milieu bourgeois, qu’il fut inscrit à Harvard qu’il détesta estimant ce lieu « mort, un faux décor anglais », aussi bien le lieu que le savoir qui y était enseigné. Il fit des études d’anthropologie et de médecine à Vienne en exprimant déjà un goût prononcé pour la chirurgie et la modification des corps.
Rappelons que les « Beat », demeurèrent à Paris à la fin des années 1950 dans un petit hôtel, situé 9 rue Gît-le-Cœur dans le sixième arrondissement, de quarante-deux chambres, dirigé comme le bistrot du rez-de-chaussée par Mme Rachou, rebaptisé depuis « Beat Hotel » : Allen Ginsberg et Peter Orlovsky y demeurèrent d’abord en 1957, rejoints ensuite notamment par Brion Gysin et William S.Burroughs.
Critique du « Domaine Poétique » par Jean Rollin : Galerie du Fleuve, Paris, 21 novembre 1962.
 
« Parfois le son se déroule sans qu’aucun personnage ne soit visible laissant paraître d’impressionnantes projections lumineuses jamais gratuites, toujours subordonnées à ce qui est dit.
Dans une salle comble, remplie de jeunes, sans qu’aucune publicité n’ait été faite, nous avons assisté avec étonnement à ce spectacle : une des meilleures tentatives d’avant-garde depuis des années.
Plusieurs auteurs s’étaient partagés le programme :
Jean-Clarence Lambert (« Neuf aléas »), Ghérasim Luca (« 1⁄4 d’heure de culture métaphysique»), François Dufrêne («Tombeau de Pierre Larousse »), transfuge des Lettristes, Brion Gysin (« Permutations »), Robert Filliou (« Père Lachaise » et « Kabou Inema »).
 
Tous les textes étaient bons, mais le grand morceau était sans conteste une sorte d’improvisation poétique par Jean-Loup Philippe sous forme d’une courte pièce jouée par Jean-Loup Philippe et Jacques Gruber, dans laquelle se mêlait dans un décor simplifié la personnalisation des objets chers aux surréalistes, un texte provocation excellent.
Il est question que ce spectacle qui se représentait de nombreuses fois au cours de l’année soit joué en régulier dans un théâtre parisien.
Il est à souhaiter que ce « Domaine Poétique » conserve toutes les qualités visuelles et auditives qu’il possède.
Nous allons sans doute voir une avant-garde autant poétique que théâtrale qui sera pour une fois vraiment l’oeuvre de jeunes.
Il était temps, les seuls représentants étaient devenus officiels.
 
En effet, aucune surprise ne nous attend plus chez Ionesco, Beckett, Adamov ou Audiberti.
A moins, que cette promotion de jeunes ne donne le coup de fouet nécessaire, pour sortir des sentiers battus.
Jean-Loup Philippe qui assure la mise en scène de ce spectacle, est un jeune comédien que nous avons vu dans Thé et Sympathie au théâtre, et récemment dans une pièce de Mauriac à la télévision : Asmodée et au cinéma.
C’est tout à son honneur d’avoir choisi pour sa première production personnelle d’abandonner les classiques du début du siècle pour se tourner vers ce qui reste de plus difficilement accessible : l’avant-garde. »
Jean-Loup Philippe conçut donc l’idée de réunir ses amis poètes sous le nom: «Domaine Poétique», et de proposer des formes scéniques adaptées à chaque univers poétique, ce qui était un challenge et apparu sous une forme très différente des récitals poétiques alors à la mode dans le milieu du théâtre classique beaucoup plus traditionnel ;
La première des soirées du « Domaine Poétique » eut lieu à Paris à la Galerie du Fleuve le 21 novembre 1962. Les représentations suivantes eurent lieu à l’American Center (Centre Américain), 261 Boulevard Raspail à Paris à l’emplacement actuel de la Fondation Cartier, comprenant dans les participants des poètes américains. Jean-Loup Philippe en fut ensuite le directeur artistique durant un certain temps avec une troupe avec laquelle il monta des pièces de théâtre.
Jean-Loup Philippe trouva pour chacun des poètes qui n’avaient aucune expérience théâtrale ou scénique un moyen de communiquer leur poésie au public de façon personnelle et inédite : dans l’espace, visuellement et de façon sonore et musicale ;
Quittant temporairement son statut de comédien, Jean-Loup s’improvisa alors metteur en scène lors des séances de travail avec les poètes et le devint par l’entremise de la poésie ;
L’idée était que le poète descende lui-même sur la scène entouré si possible d’un univers scénique qui pourrait correspondre à son système d’expression. Ce qui était très délicat et expérimental et qui constituait une proposition qui parut folle à beaucoup d’artistes.
Les poètes internationaux tous alors totalement inconnus se nommaient : Robert Filliou (franco-américain économiste de formation et qui décida de devenir artiste plasticien, poète et écrivain à Paris), François Dufrêne (poète qui adhère dès 1946 (et jusqu’en 1964) au mouvement Lettriste et également peintre) et Jean-Clarence Lambert (poète et critique d’art) pour les Français ; Bernard Heidsieck, poète sonore ;
Ghérasim Luca un poète roumain apatride.
Des poètes américains de la « Beat Generation » : William S. Burroughs, Brion Gysin (peintre)... ou l’américain Emmet Williams.
« Je commence à discuter avec eux.
Ils me disent : « Voilà, nous, on voudrait maintenant... » (JLP s’interrompt pour préciser) :
« Je pense que cela venait de la part de Robert qui avait une affection pour le théâtre et qui voulait absolument faire du théâtre. Et aussi Brion Gysin sensible au visuel.
« Alors j’ai discuté avec eux ; on a discuté ensemble.
« Ecoutez, moi je suis à votre disposition.
C’est tout à fait intéressant ce que vous proposez. Ce que vous voulez, on peut en discuter.
Donc, cela c’est passé comme cela avec plusieurs séances bien entendu pour élaborer la chose.
En 1962.
«Et il y avait Jean-Clarence Lambert aussi qui était plutôt l’organisateur, il était là en tant que poète, mais il n’avait encore rien écrit, mais il était intéressé aussi, c’était un critique d’art qui avait un peu pignon sur rue5. »
« Entretien filmé avec Jean-Loup Philippe à Bougival en août 2023
« Poetry is not Dead ». : « Du Domaine Poétique ... aux livres d’artistes ».
Durée : 1H6min32s.
https://www.youtube.com/watch?v=FeleFR_sibs
« En deux mots, une fois j’avais été invité chez la femme Bertha d’un producteur de cinéma américain : Le producteur de cinéma Alexander Salkind, grand producteur notamment des films Superman.
Sa femme Bertha Salkind voulait absolument travailler avec moi. Une femme tout à fait de talent.
Elle ne s’était pas réalisée parce qu’elle était dans un milieu de cinéma et qu’elle voulait faire du théâtre : Et bref, un jour j’arrive chez elle, et elle me dit : « écoute, Jean-Loup, peut-être que cela va t’intéresser, j’ai un groupe de poètes qui est là, dans la pièce à côté et qui cherche quelqu’un qui pourrait les aider à descendre du livre pour arriver sur scène, Est-ce que cela t’intéresse ?
JL : « Alors j’ai dit oui, d’accord, oui, cela m’intéresse, bien sûr. Tu sais bien que j’ai été élevé par des poètes. »
« J’ai fait une carrière de comédien de théâtre très brillante...
Ma vraie identité était certainement dans mon enfance avec tous les écrivains autour de moi :
Supervielle, Cendrars, et tous ces gens qui étaient autour de moi : Cocteau, Jouhandeau, Léautaud, et Fernand Léger qui venaient tout le temps à la maison...
« Donc, j’arrive chez Bertha Salkind, et il y avait dans cette pièce :
« Brion Gysin, Robert Filliou, Ghérasim Luca, François Dufrêne qui était là aussi.
Des grands classiques du théâtre aux pièces contemporaines, de la création du « Domaine Poétique » en 1962 où Jean-Loup Philippe devient à 28 ans metteur en scène des poètes avec Jean-Clarence Lambert défendant des poètes internationaux inconnus alors (français, américains de la « Beat Generation », roumain (Ghérasim Luca) : William Burroughs, François Dufrêne, Robert Filliou, Brion Gysin, Jean-Clarence Lambert, Ghérasim Luca... et leurs œuvres théâtrales (Robert Filliou notamment « C’est l’ange ») aux spectacles sur des poètes (Caillois, Michaux, Tardieu...), Jean-Loup Philippe a toujours servi avec ferveur la poésie.
 
En 1962, c’est grâce à une rencontre chez le producteur de cinéma Alexander Salkind (1921-1997) et sa femme Bertha que Jean-Loup Philippe fait la connaissance d’un groupe de poètes inconnus. Alexander Salkind est le très grand producteur notamment du Procès d’Orson Welles (1962), du film d’aventures cruelles adapté d’un roman de Jules Verne : Le Phare du bout du monde de Ken Annakin (1971) avec Kirk Douglas et Yul Brynner, de Ciel de Romain Gary, puis par la suite des films grands publics et commerciaux : les excellentes adaptations filmées des Trois Mousquetaires de Richard Fleischer d’après Alexandre Dumas et beaucoup plus tard de la série de films Superman de Richard Donner. Jean-Loup est alors un comédien vedette au théâtre mais passionné depuis son enfance pour la poésie aspire à tenter des expériences théâtrales inédites ; « Dans la pièce se trouve un groupe de poètes tous inconnus (constitué d’américains et de français) qui cherchait quelqu’un qui pourrait les aider à descendre du livre pour arriver sur la scène. » déclare Jean-Loup Philippe.
Ensuite, Jean-)Loup Philippe a notamment joué en 1960 dans À vous Wellington, une pièce de théâtre du dramaturge et auteur de livres pour enfants Britannique Willis Hall (1929-2005) : dans une adaptation de Roger Dornès et de Roger Harth, et une mise en scène du grand comédien François Maistre au Théâtre du Vieux-Colombier à Paris, avec comme distribution : Raoul Billerey, Jean-Loup Philippe, Joe Davray, Jean-Pierre Jaubert, Francis Lax, Jean-Pierre Cassel, Georges Géret et Borami Kassanno. Jean-Loup Philippe ne conservait pas un bon souvenir de ce spectacle, il n’aimait pas ce rôle de soldat, ce milieu militaire malgré sa camaraderie avec Jean-Pierre Cassel. Jean-Loup Philippe se souvenait aussi de répétitions difficiles avec François Maistre avec qui il eut des échanges violents alors qu’il estimait beaucoup l’acteur par ailleurs.
La pièce obtenue un très grand succès public et critique et Ingrid Bergman reçut des critiques favorables, elle est appelée quinze fois devant le rideau et elle est récompensée par une ovation de trois minutes. Le succès de la pièce fait qu'elle ne quitte pas la scène parisienne pendant neuf mois, jusqu'à l'été 1957.
Lors d’une interview filmée par la télévision canadienne (« Carrefour », 15 juillet 1957, archives de Radio Canada)4 dans sa loge du Théâtre de Paris en 1957, Ingrid Bergman s’entretient avec la journaliste Judith Jasmin parle de la pièce et surtout évoque Paris, sa ville préférée « plus grande, offrant plus de possibilités ».
La pièce fut ensuite reprise toujours dans le même Théâtre de Paris, suite aux engagements cinématographiques de Ingrid Bergman et par contrat c’était prévu ainsi, par la comédienne Micheline Presle qui fut sa vie durant une amie chère de Jean-Loup Philippe.
Le metteur en scène de cinéma italien Robert Rossellini (1906-1977), le mari d’Ingrid Bergman à l’époque, fut dérangé par l’évocation de la possible homosexualité du personnage de Tom (à l’instar de l’attitude machiste des autres personnages mâles de la pièce) et refusa d’en effectuer la mise en scène qui fut alors confiée à Jean Mercure.
Ce furent notamment des divergences artistiques entre la célèbre actrice et le metteur en scène qui furent à la longue responsable de leur rupture. La jalousie de Rossellini en était une autre. Il était très possessif et ne voulait pas laisser Ingrid Bergman tourner avec quelqu’un d’autre que lui3. JLP me raconta que chaque soir sur scène lors d’un passage clé de la pièce son personnage Tom devait embrasser sur la bouche Laura : Or, le célèbre metteur en scène italien Roberto Rossellini avait qui elle avait noué comme on le sait à partir de 1950 une relation amoureuse adultérine qui fit scandale durant ces années 1940 très conservatrices (et religieuses en Italie) car tous deux étaient mariées chacun de son côté, se montra furieusement jaloux de ce privilège du jeune et beau Jean-Loup et venait chronométrer le temps du baiser de théâtre lors des répétitions et même lors des représentations entre Jean-Loup et Ingrid Bergman, et ce, en présence du public, parfois témoin de ce fait peu discret...
Jean-Loup Philippe gardait un souvenir très ému d’Ingrid Bergman qui se montra charmante durant les années de collaboration théâtrale sur la pièce Thé et Sympathie et toujours surprenante. Il estima qu’elle choisissait bien mal ses compagnons de vie et qu’elle était malheureuse notamment avec son troisième mari le producteur Lars Schmidt dont elle se sépara vers le milieu des années 1960...
« Tom Lee, un étudiant de 17 ans, est plus attiré par la littérature et les arts que par l'univers viril encouragé dans son université à travers le sport notamment, une certaine brutalité, un mépris des femmes. À part l’amitié sans préjugés que lui témoigne son seul camarade Al, Tom se trouve marginalisé par les autres garçons du pensionnat qui l’ont cruellement surnommé « la demoiselle ». Heureusement, il sympathise bientôt avec Laura Reynolds, la femme du professeur responsable du bâtiment universitaire, qui éprouve elle-même quelques difficultés relationnelles avec un mari conformiste et rude refusant d'assumer ses faiblesses. Elle retrouve en Tom son premier mari tué à la guerre. Un vrai dialogue s'instaure peu à peu entre Tom et Laura, et celle-ci va aider le tout jeune homme à assumer ses différences, lui démontrant que sensibilité et raffinement ne riment pas forcément avec homosexualité, orientation dont il est soupçonné dans ce milieu hautement machiste. Leur liaison d'une nuit va bouleverser la vie de Tom qui deviendra un écrivain célèbre, se mariera mais aussi celle de Laura qui quitte son mari. »2
En 1956 donc dans Thé et Sympathie, après le succès de la pièce aux États- Unis lors de sa création en 1953, et parallèlement à Déborah Kerr au cinéma, Ingrid Bergman incarna, en France, dans la capitale, au Théâtre de Paris, le personnage de Laura Reynolds (40 ans), la femme d’un professeur de l’Université, auprès du jeune Jean-Loup Philippe (22 ans) dans le rôle de l’étudiant Tom Lee lors de cette création française.
La pièce du dramaturge américain Robert Anderson (1917-2009) était osée pour l’époque. Au Royaume-Uni, le film tiré de la pièce fut interdit pour ses allusions à l’homosexualité. Voici le résumé de la pièce qui narrait la rencontre entre une femme incomprise par son mari universitaire conformiste et un très jeune étudiant fragile et indécis dans son identité et sa sexualité et qui se découvre homosexuel. La liaison d’une nuit partagée avec cette femme va bouleverser la vie des deux personnages :
« La Nouvelle Vague, réunis sur la même photo en mars 1958 : de gauche à droite au premier rang : P.Gris, Jean-Loup Philippe, Pierre Jolivet, Georges Poujouly, Alain Delon, ; au second rang : Jean-Claude Brialy, A.Sauvy, Jacques Charrier, M.Sarfait. Tous, se sont fait un nom, trois : Delon, Brialy, Charrier sont des vedettes »
Il devint donc à seulement 22 ans et du jour au lendemain, une vedette du théâtre, un espoir masculin au milieu de ses pairs, jeunes acteurs de la même génération, qui se nommaient entre autres : Jean-Claude Brialy, Jean-Pierre Cassel, Jacques Charrier, Alain Delon etc. une photographie étonnante datant de mars 1958 les montre poser ensemble devant l’objectif. Daniel Gélin et tant d’autres artistes du métier vinrent le féliciter...
Jean-Loup Philippe me raconta que remporter le rôle ne fut pas une mince affaire et qu’il passa pas moins de 5 « tours » d’auditions (que passaient tous les jeunes premiers et espoirs masculins de sa génération) devant Jean Mercure et les directeurs du Théâtre de Paris où la pièce fut jouée durant trois ans, à partir de la première le 30 novembre 1956, avec un succès considérable – les deux-cent places du théâtre était occupées tous les soirs – qui du jour au lendemain lança la carrière de Jean-Loup Philippe.
À cette époque, Jean-Loup Philippe correspondait parfaitement au rôle : il était très jeune (22 ans et en paraissait même moins), très mince et de physique encore « fragile » avant qu’il ne pratique des sports de compétition et que son corps et sa morphologie ne changent quelques années après et que cet « emploi » de « jeune premier fragile » n’existe de fait plus vu sa métamorphose physique...
En 1956, elle tourne, malgré la fureur de Rossellini, à nouveau à Hollywood dans le film Anastasia d’Anatole Litvak avec Yul Brynner. Elle y interprète le rôle d’Anna Koreff, une jeune femme suicidaire et amnésique. Le film est le récit de la tentative de Russes blancs en exil à Paris qui essayent de mettre la main sur la fortune du Tsar Nicolas II, et se mettent en quête d’une jeune femme pauvre pour lui faire endosser le rôle de la Grande Duchesse Anastasia Nikolaevna, seule héritière qui serait encore en vie après le massacre du Tsar et de sa famille par les Bolcheviks. Ingrid Bergman remporte pour ce rôle le Golden Globe et l’Oscar de la meilleure actrice en 1957. Donc, au moment de la création française de la pièce Thé et Sympathie, Ingrid Bergman est à quarante ans au sommet de sa carrière. Le comédien (et futur réalisateur) Jean-Pierre Mocky devait initialement jouer le rôle de Tom Lee mais il ne s’est pas entendu avec l’important metteur en scène Jean Mercure (1909-1998), notamment futur fondateur et directeur du Théâtre de la Ville à Paris de 1968 à 1985.
 
Né en 1929, Jean-Pierre Mocky était âgé de cinq ans de plus (27 ans donc) d’une toute autre morphologie que JLP, plus massive, correspondait moins physiquement au rôle de jeune homme fragile.
Par contre, Jean-Pierre Mocky qui avait débuté très jeune (13 ans) en 1942 dans Les Visiteurs du Soir de Marcel Carné et Jacques Prévert dans le rôle d’un page, était déjà un comédien pourvu d’une abondante filmographie (il était apparu dans 31 films côtoyant la « qualité » française des années 1940-1950, tourna dans L’homme au chapeau rond avec Raimu et dans l’Orphée de Jean Cocteau, des films d’Autant-Lara, Henri Decoin ou Jean Delannoy et surtout dans Senso (1954) de Luchino Visconti (dont il est également  assistant réalisateur), ou encore dans le dernier, raté et improbable film de Laurel et Hardy Atoll K. (1951) de Léo Joannon) et connu notamment la renommée grâce à son rôle en Italie dans Les Vaincus (1952) de Michelangelo Antonioni. Très vite en 1959, Jean-Pierre Mocky devait passer à la réalisation et devenir le grand cinéaste marginal, prolifique et boulimique que l’on sait.
En 1956, JLP eut la chance à 22 ans d’être sélectionné sur audition pour interpréter le rôle masculin principal du jeune premier fragile et homosexuel présumé (et honteux) : l’étudiant américain Tom Lee, dans la pièce de boulevard américaine créée de l’autre côté de l’Atlantique en 1953: Thé et Sympathie de Robert Anderson avec pour partenaire l’immense star internationale Ingrid Bergman (dans le rôle de Laura Reynolds, femme d’un professeur d’université) au sommet de sa popularité.
Ingrid Bergman tournait alors en France plusieurs films en 1956 dont la comédie romantique spécialement écrite pour elle par Jean Renoir : Elena et les hommes avec pour principal partenaire Jean Marais. Un film qui se déroule à la Belle Époque et dans lequel elle interprète une aristocrate Polonaise qui flirte avec de nombreux hommes.
Rappelons que l’actrice suédoise Ingrid Bergman après dix ans passés aux États-Unis (1941-1949) devenue une star mondiale (notamment grâce aux grands rôles obtenus dans le film Casablanca (1942) de Michael Curtiz, les films d’Alfred Hitchcock (3 films : Spellbound (1945), Notorious (1946) et Under Capricorn (1949)), et alors qu’elle est déçue par l’orientation de sa carrière imposée à elle par Hollywood, fut fascinée à la vision des films du metteur en scène néo-réaliste italien Roberto Rossellini : Rome, ville ouverte (1945) et Païsa (1946), lui fait part par lettre de sa volonté de collaborer avec lui et le rejoint en Italie.
Dès le tournage du film Stromboli en 1950, elle noue avec le réalisateur, alors qu’ils sont mariés chacun de leur côté une liaison qui fait scandale. Elle tourne encore cinq films avec Rossellini entre 1952 et 1954 : de Europe 51 à Jeanne au bûcher ; Mais le caractère possessif, dominateur violent et très jaloux de Rossellini qui veut entièrement régenter sa vie (au point de lui interdire de voir sa fille née d’un premier mariage, Pia Lindström) et l’empêcher de tourner avec d’autres réalisateurs, les fait s’éloigner et les mènera à une séparation douloureuse en 1957 notamment concernant la garde de leurs enfants.
Jean-Loup Philippe appréciait beaucoup l’écrivain à l’univers fantastique et onirique Marcel Aymé et fut heureux et honoré de créer une de ses pièces sur scène. Des années après, Jean-Loup Philippe me parlait avec ferveur de  cette pièce poétique dans laquelle : « Le jeune surveillant général d'une boîte à bachot de sous-préfecture détient un étrange pouvoir : il lui suffit de désirer que telle personne se transforme en oiseau pour que la métamorphose s'accomplisse et que des ailes poussent à ses victimes... ». Marcel Aymé exerça peut-être une  influence sur l’œuvre d’écrivain de Jean-Loup.
 
En 1956, Jean-Loup Philippe eut la chance à 22 ans d’être sélectionné sur audition pour interpréter le rôle masculin principal du jeune premier fragile et homosexuel présumé (et honteux) : l’étudiant américain Tom Lee, dans la pièce de boulevard américaine créée de l’autre côté de l’Atlantique en 1953: Thé et Sympathie de Robert Anderson avec pour partenaire l’immense star internationale Ingrid Bergman
En 1955, Jean-Loup Philippe joue avec sa première femme comédienne Françoise Rasquin dans la pièce de théâtre : Les Oiseaux de Lune de Marcel Aymé écrite en 1955, au Théâtre de l’Atelier à Paris dans une mise en scène d’André Barsacq (grand metteur en scène et décorateur de théâtre pour Barrault, Blin, Copeau, Dullin..). André Barsacq succède à Charles Dullin à la direction du Théâtre de l’Atelier en 1941 quand se dernier part diriger le Théâtre Sarah Bernhardt). La distribution était superbe et Jean-Loup Philippe (dans le rôle de Belin) partageait donc l’affiche avec notamment : Jacques Duby, Marcel Pérès, Pascale de Boysson, Marc Eyraud, Madeleine Barbulée, Gisèle Touret... et donc Françoise Rasquin. Décors de Jacques Noël.
Sur ses débuts de jeune premier vedette :
La seconde fois qu’il a joué quelques années plus tard au théâtre avec Tania Balachova ce fut dans la pièce Naïves hirondelles de Roland Dubillard avec Tania Balachova, Roland Dubillard (qui se faisait appeler « Grégoire »), Arlette Reiner et JLP.
JLP trouvait Tania Balachova excellente comédienne.
Malgré tout, les premières répétitions de ce spectacle furent mouvementées, Roland Dubillard, auteur de la pièce et comédien du spectacle, ne voulait pas au départ de Jean -Loup pour le rôle imposé lui par Tania Balachova. Les premières répétitions furent « incroyables » selon le terme de JLP : « Tania voulait que je joue, RD ne voulait pas, il voulait imposer un de ses copains. Les répétitions avaient lieu à la Contrescarpe. Roland était absent quand je venais travailler et à la fin c’est Tania qui a décidé de ne plus venir si Roland ne venait pas... » LLa Première de la pièce eut lieu à Amiens lors d’une des premières tournées dans la série des Maisons de la Culture inaugurées alors récemment par le Ministre de la culture André Malraux (JLP fut voisin à Paris dans le même immeuble qu’André Malraux me raconta-t-il un jour). La 1ère donc eut lieu à la Maison de la Culture d’Amiens et personne n’avait répété ensemble ni vraiment tous en commun donc et là les réactions du public sont catastrophiques c’est un « four » théâtral : « C’est le bide » dit Roland Dubillard. Et alors « on a commencé à répéter ensemble ».Jean-Loup Philippe et Roland Dubillard devinrent très amis par la suite lors d’une tournée rocambolesque qui les menèrent notamment en Algérie à Alger juste après la Guerre d’Algérie « horrible » et dont JLP conservait des images des traumatismes causés sur place très forts...
 
À ce sujet, JLP avait une anecdote émouvante et fort étonnante : « J’étais en train de me promener avec Arlette tous les deux seuls dans la ville et il n’y avait qu’un seul endroit pour se ravitailler. Je me souviens des cous des chameaux qui sortaient juste des habitations pour se nourrir. Alors, en nous rendant dans cette épicerie, j’ai la surprise de voir en photographie sur le mur : ma première femme qui était une comédienne renommée en bikini punaisée sur le mur !! Au beau milieu de cette ville dont j’ignorais tout. On est restés interdits ! Arlette et moi. Je ne peux pas laisser la photographie là. Je vais pour l’acheter et j’ai du user de l’entremise d’un interprète. Et j’ai du faire monter le prix car l’épicier ne voulait pas me vendre la photographie de ma femme ! Il refusait toujours. Et, à la fin, l’interprète dit : « Mais c’est sa femme !! » Et d’un seul coup, l’homme a fermé sa boutique, baissé son store. Et on est resté quatre ou cinq jours sans pouvoir se ravitailler !! On a du tenter de se ravitailler à l’hôtel parce qu’il ne voulait pas me vendre cette photo. »
Jean-Loup Philippe se souvint que des erreurs involontaires de mémoire dans le texte et à cause des circonstances, dans les accessoires disponibles, provoquant des rires sur scène durant les représentations, notamment lorsque faute de banane Jean-Loup Philippe tendit une orange à RD, finirent par rendre très amis et complices Jean-Loup Philippe et Roland Dubillard.
 
Les représentations de Naïves hirondelles se sont terminées au Théâtre Chaptal dans des circonstances encore plus invraisemblables par une intervention de la police...
Jean-Loup Philippe a toujours déploré le comportement d’Arlette Reiner qui s’est fâchée avec le mécène du spectacle qui pourtant avait proposé au début de financer des mises en scène de pièces de théâtre inédites contemporaines. Le répertoire comprenait notamment des pièces de Jean-Loup Philippe, de Romain Weingarten...
Jean-Loup Philippe se souvenait encore d’un détail sur Tania Balachova qui se promenait toujours accompagnée d’un petit singe de Madagascar. Et il se souvenait d’un jour où Tania, perdant sa perruque sur scène, cela produisit un effet très bizarre pour les spectateurs...
C’est donc Tania Balachova qui non seulement fut le professeur et révélateur du jeu d’acteur de Jean-Loup Philippe, et qui renforça une vocation en ayant foi en ses dons, ses capacités et un avenir professionnel possible également le fit débuter au théâtre sur une scène dans une pièce de Luigi Pirandello : La vie que je t’ai donnée où il avait pour partenaires Balachova elle-même et certains condisciples du cours dont Daniel Emilfork.
De ce spectacle, Jean-Loup Philippe me confia une anecdote drôle, un jour où il était malade et alors qu’il vivait encore chez sa mère, le téléphone sonne et on l’appelle, même malade il doit venir jouer c’est impératif : « Je vivais chez ma mère. Je me reposais. Mais tu sais, le théâtre t’appelle. Alors j’ai bondi sur ma vespa et je suis arrivé au Théâtre des Noctambules. On m’a précipité sur la scène, lorsque je suis arrivé en cours de représentation c’était une scène d’enterrement et tout était comme au ralenti. Et un fou rire m’a pris dans cette scène d’enterrement créant un incident rattrapé par une improvisation soudaine.... ».
1 Témoignage filmé de Michaël Lonsdale lors de la remise du Prix du Brigadier 2017.
Vidéo YouTube https://www.youtube.com/watch?v=NPWuK9oPklQ
« Beaucoup d’élèves étaient très maladroits. Il s’agissait de trouver la vérité scénique de la personne et la développer. La personne s’ouvrait et pouvait apprendre la technique théâtrale de façon plus rigoureuse. Tania s’était inspirée de Constantin Stanislavski, le grand comédien, metteur en scène et théoricien Russe. Elle nous apprenait aussi à aimer le texte, et il fallait ensuite joindre à cet exercice la révélation de l’identité de la personne. » (entretien avec Jean-Loup Philippe).
Pour Jean-Loup, me dit-il, « le jeu de comédien renait surtout dans des «sensations», y être perméable et ultrasensible un peu comme un enfant ; la connaissance de soi étant le plus difficile»...
Le comédien Michaël Lonsdale condisciple de Jean-Loup Philippe au cours de Tania Balachova témoignait en 2017 : « Tania Balachova m’a reçue à bras ouverts. Et là, j’ai rencontré une femme merveilleuse. On avait l’impression qu’elle voyait à travers vous. Et je suis resté deux, trois ans sans payer. Je n’avais pas beaucoup d’argent. Et j’oubliais toujours de payer. Et puis, je me disais un jour, elle va me fiche dehors. « Mais non, non restez, vous paierez plus tard » me dit-elle. « Elle m’a poussé, m’a accouché une deuxième fois. Elle m’a sorti de mes gonds...Il faut pour se dépasser, oublier. Avoir une sorte d’illumination, d’éblouissement et perdre conscience de soi. »1
Très jeune, Jean-Loup Philippe fut élève à Paris dans le cours de théâtre de la grande comédienne Tania Balachova (1902-1973), compagne du metteur en scène Raymond Rouleau, en même temps que ses amis aspirants comédiens: Daniel Emilfork, Michaël Lonsdale, Tatiana Moukhine, François Perrot, Laurent Terzieff et Pascale de Boysson... ; Jean-Loup Philippe fut particulièrement très proche de Laurent Terzieff et Pascale de Boysson, cette dernière considérant Laurent et Jean-Loup comme ses « deux grands frères » de théâtre (notamment lors de vacances passées en commun à Chamonix dont JLP conservait un souvenir ému).
Tania Balachova avait créé le rôle d’Agnès en France dans la mise en scène d’Antonin Artaud de la pièce Le Songe d’August Strindberg en 1928. Elle avait été très marquée par cette collaboration avec Artaud et la troupe du Théâtre Alfred-Jarry. Elle interpréta ensuite les grands rôles  du répertoire contemporain  et notamment l’Andromaque de Jean Giraudoux dans La Guerre de Troie n’aura pas lieu en 1937. Par la suite elle créa notamment Les Bonnes de Jean Genet. Parcours exceptionnel, d’une comédienne (enseignante réputée et metteur en scène) défendant les auteurs les plus ardus et novateurs de son temps.
 
Chez Tania Balachova, l’enseignement, qui se pratiquait à l’époque où JLP y assista, avenue Montaigne à Paris, allait à rebours de ce qui était pratiqué dans les autres célèbres écoles de théâtre comme le Cours Simon de René Simon par exemple où les élèves passaient des scènes extraites de pièces et préparaient les concours d’entrée au Conservatoire National d’Art Dramatique dans des « emplois » bien déterminés par Simon. Tania Balachova; me raconta JL, s’efforçait de révéler la personnalité de l’individu qui désirait apprendre le métier.
Sa vie durant et 70 ans d’une carrière singulière et protéiforme, Jean- Loup a défendu avec une foi féroce et une énergie hors norme de sportif de haut niveau et de champion (ski, plongée sous-marine, tennis) qu’il était par ailleurs... la poésie, les poètes et le théâtre, en s’intéressant avec gourmandise à toute forme de création exigeante (théâtre, cinéma, radio, musique, poésie, livres d’artistes...) dans une activité démultipliée et boulimique :
 
Né le 24 mars 1934, à Paris, dans une famille privilégiée, « des gens si brillants » selon ses propres mots : sa mère tenait un salon littéraire et fréquentait le tout Paris littéraire et artistique. Durant son enfance, sa famille louait une maison en Touraine et aimait s’entourer d’écrivains et de poètes accueillis en résidence. C’est ainsi que le très jeune Jean-Loup eut le privilège exceptionnel de connaître intimement (notamment des écrivains Suisses) : Blaise Cendrars, Charles-Albert Cingria, Jean Cocteau, Marcel Jouhandeau et sa femme Élise, Henri Michaux, Paul Léautaud, Jules Supervielle, des peintres (Fernand Léger)...En résidence, ces grands écrivains lisaient souvent le soir à leurs hôtes leurs manuscrits rédigés le jour même dans des conditions idéales.
 
Ces écrivains n’étaient aperçus le plus souvent par JL que le soir lors des dîners et de soirées littéraires ; ceux-ci écrivant dans la solitude le reste du jour et restant assez invisibles sauf lors de sorties ou de promenades en commun dans les bois voisins ;Jean-Loup se souvenait que son frère et lui devaient se taire et écouter religieusement avant d’aller dormir ces lectures intrigantes pour un enfant. Jean-Loup m’a souvent raconté et l’a écrit dans différents livres, une étonnante anecdote sur une promenade en forêt où très jeune et accompagné d’Henri Michaux, le grand poète le fit s’intéresser à l’étonnant ballet cruel de fourmilières et de leurs habitantes ; Jean-Loup en gardait un vif souvenir et d’où aussi sa fascination pour le microcosmos ; les insectes qui reviennent dans ses contes étranges qu’il rédigea des décennies plus tard dont Krakana, magnifique livre d’artiste réalisé avec le peintre Horst Haack.
Ce fut sa formation littéraire très singulière, alors que d’une famille juive, «Philippe» étant son pseudonyme de comédien, il ne fit pas tellement d’études perturbées comme l’on s’en doute durant la guerre et l’occupation allemande. JLP restait bien sur très pudique et discret sur cette époque très sombre de sa vie...
Photo ©Véronique D.Travers
Jean-Loup Philippe
 
24.03.1934 - 03.02.2025
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