Interview
Question :
Jean-Loup Philippe, vous venez d’obtenir le prix du Premier Roman au 12ème Festival de Laval.
Quel effet cela vous fait-il et pourquoi avoir attendu si longtemps ?
Jean-Loup Philippe :
Cette reconnaissance me donne un réel bonheur.
Savoir qu’il y a eu, depuis un an, des milliers de lecteurs appartenant à différents cercles qui ont apprécié Monsieur Loup parmi tant d’autres livres…
N’est-ce pas incroyable ?
D’abord, j’ai eu de la chance.
A vingt ans, j’étais partenaire d’Ingrid Bergman dans Thé et sympathie, au Théâtre de Paris pendant trois ans, puis en tournée avec Micheline Presle.
Ensuite, bien sûr, je n’ai pas arrêté, tant au théâtre qu’à la télévision… un peu de cinéma.
Puis, j’ai commencé en tant que metteur en scène, une seconde aventure. L’époque le permettait.
Après avoir fondé Le Domaine Poétique avec Robert Filliou, Brion Gysing, Ghérasim Luca, Dufrêne, Jean-Clarence Lambert, j’ai mis en scène vingt-trois heures de spectacles expérimentaux avec des poètes du monde entier, alors pratiquement inconnus.
Depuis, ils sont devenus plus ou moins célèbres…
Et là, encore, je n’ai pas arrêté pendant vingt ans de révéler des auteurs…
Mise en scène du premier Festival de Poésie de la Ville de Paris… puis, du deuxième.
Conjointement, j’ai commencé à écrire : d’abord une petite pièce de vingt minutes qui fut jouée en Suède… en Suédois…
L’histoire d’une fourmi qui n’a que deux heures à vivre et qui tente de tout vivre à tout allure.
Question :
Les gens riaient énormément ?…
Jean-Loup Philippe :
Jean Tardieu l’aimait beaucoup.
Puis trois pièces créées au théâtre du Lucernaire : Le bas et le haut, Nus et bleu et Prisoncorps.
Puis ont suivi une quantité de pièces et d’adaptations pour le Festival d’Avignon, France Culture et divers théâtres.
Chaque œuvre dramatique était pour moi une fenêtre ouverte sur l’écriture théâtrale, une proposition.
Par exemple, dans Nus et bleu l’écriture est effacée.
Le nu de l’écriture avec ses silences, ses gestes.
Les ils, l’écriture est du style télégraphique.
Voyage en incertain, une écriture pulsive, qui part de la sensation.
Mais tout ce théâtre poétique n’existe que pour le temps des représentations. Et quels efforts il m’a fallu pour le monter, le montrer.
Certains l’appellent « Théâtre d’essai », c’est ridicule !
Parce que c’est étrange, nouveau et non commercial, d’après les dires sans vision de certains producteurs.
Le théâtre est en train de devenir une entreprise commerciale avec devoir de rentabilité.
Et puis je me suis mis à écrire un roman Monsieur Loup.
Mais je ne voulais pas qu’il ressemble à tous ces romans actuels qui me tombent des bras. Tous ont une histoire différente mais tous sont écris de la même manière… enfin presque.
C’est le style qui m’intéresse dans l’écriture. Il faut que le sujet provoque l’écriture et que l’écriture porte le sujet.
L’écriture nait d’une source en soi et comme une source, elle murmure, elle chante.
Alors, elle devient limpide et rythmique. Alors, le sens nait et l’histoire coule et nous conduit [ le lecteur et moi ] vers l’incroyable avec certitude.
Enfin, je parle de Monsieur Loup.
J’ai eu la chance de connaître un éditeur, Nicole Gdadla aux Editions Caractères, qui a aimé ce texte.
Monsieur Loup est un voyage dans l’imaginaire.
Il se réveille dans un monde nouveau qui est fait de jouissances.
Après en avoir goûté certaines, il s’aperçoit qu’il a perdu son âme. Désireux de la connaître, il s’élance à sa poursuite.
C’est un double voyage qu’il va faire, à travers lui-même et sur cette planète inconnue.
L’écriture, pour moi, est un élan vers une liberté totale.
Alors, elle provoque, amuse, attendrit ou devient dérisoire.
Question :
Est-ce vous ou l’autre qui écrit ?
Jean-Loup Philippe :
Les deux puisque l’autre c’est moi.
L’écriture est une naissance sans cesse renouvelée.
Dans Monsieur Loup elle est un sourire qui peut devenir une grimace.
Plusieurs thèmes émergent : le voyage en soi et au dehors, l’hermaphrodisme, l’amour…
Et surtout le refus du quotidien, du normal.
D’où cette quête d’une autre sagesse.